Je ne me souviens que de sa chevelure flottante et de la chaleur de ses lèvres, quelques jours plus tard, quand elles se sont posées sur les miennes. À cet instant, le temps s’était arrêté. Toutes les aiguilles du monde s’étaient figées pour nous permettre d’immortaliser ce moment à jamais dans nos cœurs. Peut-être sa robe était-elle blanche finalement ? Qu’importe ! J’avais devant moi un ange, celle qui deviendrait ma conjointe, ma partenaire de vie. Nous avions seize ans. Nous étions si beaux et avions toute la vie devant nous.
C’est drôle qu’on puisse se souvenir de toutes ces choses,mais pas de la fois où tout a basculé. Vous souvenez-vous du jour où vous avez perdu votre innocence, de ce jour où vous avez mis de côté votre ours en peluche pour une manette de PlayStation ? Moi, je ne m’en souviens pas. Et vous souvenez-vous de celui où vous avez cessé de vouloir être acteur ou chanteur pour vous diriger vers des études plus concrètes ; ou de celui où vous avez arrêté de rêver pour d’autres priorités ? Moi, je ne me souviens pas de ce jour où j’ai compris que, pour convenir à ce monde d’adultes, je devais m’oublier.
En politique on nous apprend que la meilleure façon d’être élu n’est pas de faire la meilleure campagne, mais d’éliminer ses concurrents. Pour cela, il suffit simplement de détruire l’authenticité de leur parole. Entre un homme d’État et un policier alcoolique venu menacer un ministre, qui va-t-on croire ?
C’est marrant comment les accidents de la vie quotidienne peuvent être hilarants une fois passée l’urgence de la situation, vous ne trouvez pas ? Ils laissent des souvenirs mémorables. Des souvenirs de vie. Comme celui-ci qui leur rappela la liberté totale dans laquelle ils vivaient, autrefois. Comment avaient-ils pu laisser les années déteindre autant sur eux ? Pourquoi l’un préférait se serrer la ceinture plutôt que de se battre pour sa fille ? Pourquoi l’autre préférait pouvoir combler ses enfants de cadeaux plutôt que de passer du temps avec eux ? Quant au dernier, pourquoi se plaignait-il de la vie qu’il avait choisie tout en rêvant d’une vie qu’il n’aurait jamais plutôt que de profiter de la chance qu’il avait d’avoir une si belle maison, de si bons amis, et surtout, de l’avoir elle ?
La vie passe trop vite, et pourtant nous laissons tant d'année filer, tant de jours et de moments que l'on pourrait mettre à profit pour être heureux.
Ce fut dans cette voiture que je compris la raison de mon mal-être. J’avais tout simplement décidé de faire comme tout le monde et de baisser les bras. De me laisser couler. À force de devoir constamment me confronter à tous ces zombies sociaux qui acceptent de faire ce qu’on leur dit sans se rendre compte que cela n’est pas en accord avec leurs valeurs, j’étais devenu comme eux.
Les gens se plaignent tout le temps — je suis bien placé pour le savoir. Quoi que nous fassions, rien ne convient jamais. Ce qui est affligeant dans ce constat est qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils y sont pour beaucoup dans ce… Comment pourrions-nous appeler ça ? Échec collectif ? Déchéance ? Non ! ne soyons pas alarmistes. Disons simplement : c’est la vie.
Il y a une chose que j’avais apprise à l’école de police : si vous essayez de forcer la main à quelqu’un, celui-ci risque de vous prendre en grippe et de ne jamais faire ce que vous voulez. Par contre, si vous lui dites qu’il est libre de faire ce qu’il veut, il fera ce que vous lui avez conseillé. Et ça, j’en étais certain.
Tout comme le client, le lecteur était roi de l’information. Il se devait de tout savoir, et pourtant, il savait si peu de chose. Telle une oie, on le gavait avec ce que l’on voulait. Ici encore le journaliste parlait de sang, de drame et d’horreurs macabres, sans jamais dévoiler ne serait-ce qu’un nom.
Il n’avait le temps de rien, ne prenait le temps pour rien. Il ne faisait que courir d’un endroit à l’autre, changeant de casquette à tout va, passant d’un enfant à l’autre, sans jamais s’arrêter. Tiffany était triste. Ce n’était pas la vie dont elle avait rêvé.
« J’adore tes yeux, mais je préfère les miens, car sans eux, je ne pourrais te voir sourire. »