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Citation de Pasoa


Julia est arrivée. Je ne la voyais pas comme ça, si menue, si simple. Avec sa robe tablier et ses tongs, elle ressemble à une paysanne. Ses cheveux gris sont tressés en nattes attachées au sommet du crâne, une coiffure de petite fille. Je l'ai regardée sans rien dire, et puis je n'ai pas pu résister, j'ai dit : "C'est Rachel, vous vous souvenez de moi ? Rachel." Ridicule. Elle a dû en mettre au monde des milliers, des Rachel et des Judith, et des Norma.
Mais elle ne m'a pas renvoyée . Au contraire, elle m'a prise par la main et m'a fait entrer chez elle.
(...) Quand je dis à Julia que c'est elle qui m'a mise au monde, il y a plus de trente ans, elle qui m'a donné le biberon et s'est occupée de moi, elle ne répond rien, seulement a-an comme ça, en hochant la tête, en se balançant un peu dans son fauteuil.
(...) Qu'es-ce que j'espérais ? Qu'elle se souvienne, qu'elle m'appelle par mon nom, qu'elle m'embrasse ? Pourtant quand le moment est venu de m'en aller, Julia va dans sa chambre, elle revient avec un album, et elle me montre les photos de sa famille. Sur l'une d'elle elle a une trentaine d'années, elle est habillée d'une blouse qu a dû être verte mais la photo n'a retenu que du gris. Sur la tête, une coiffe blanche à ourlet, et aux pieds des tennis blancs. Elle est souriante, derrière elle on voit des berceaux alignés, surmontés de moustiquaires. Je sais pourquoi cette photo m'émeut. C'est la première fois que je suis si près de ma naissance. Je n'apprendrai plus rien désormais. Julia a compris mon émotion, un nuage passe sur son visage souriant, quelque chose comme le souvenir, mais c'est évidemment tout à fait impossible, il y a si longtemps.
Mon nom et mes papiers ne lui ont rien dit, c'est juste quand je reste penchée sur cette photo, alors elle la détache de l'album et elle me la tend, elle n'a rien d'autre à me donner, rien d'autre à partager, et moi je ne peux pas accepter.
Au moment de passer la porte pour me rejeter au dehors, dans la lumière et le bruit de la rue, elle ouvre ses bras et je me serre contre elle, elle qui est toute petite et légère, mais ses bras sont puissants comme ceux des sages-femmes. "Ma-krow", je lui dis, les seuls mots de twi que je connaisse, "ma-krow auntie". Alors elle pose ses mains sur ma tête, elle me donne sa force, une pluie douce et chaude qui descend de mon corps et me fait frissonner. Elle retourne vers la maison et referme la porte.

in Une femme sans identité.
p. 230-231
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