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Citation de Partemps


« Parti du corps j’ai laissé dieu pour refaire un autre corps / j’ai franchi dieu pour
achever tout mon corps »1. Comment entendre cet énoncé d’Antonin Artaud ? En quel
sens faut-il « partir » de son corps pour le « refaire », le reconstruire comme un « autre
corps » ? Quelle est cette relation qu’il instaure entre la question de « dieu » et celle du
corps, et pourquoi faudrait-il donc « laisser dieu », l’écarter ou l’abandonner, si l’on
désire se refaire un corps, comme si « dieu », ou ce qu’Artaud désigne de ce nom, faisait (dans notre corps ?) obstacle à l’« achèvement » de ce corps ? À ces questions, nous
ne savons pas encore donner de réponse. Mais il y a un mot de cette phrase que nous
voudrions ici tenter d’élucider, le seul d’ailleurs qu’Artaud ait souligné : « j’ai franchi
dieu ». Il soulève, à vrai dire, au moins autant de questions que le reste de l’aphorisme…
Comment franchir Dieu ? de la même manière que l’on traverse une frontière, que l’on
passe au-delà d’un obstacle, que l’on transgresse une limite, un interdit ? Le franchir
ainsi, est-ce déjà s’en affranchir ? Que doit être le « dieu » d’Artaud pour qu’il soit possible de le franchir, de le dépasser, et qui peut prétendre dépasser Dieu ? Est-ce là une
affirmation « athée », et de quelle étrange sorte d’athéisme, puisqu’elle semble présupposer l’existence de ce Dieu que l’on a dépassé ? Est-ce la même chose que de proclamer que « Dieu est mort » ? Y a-t-il un rapport entre ce geste (ce fantasme ?) de franchir
Dieu et celui de franchir la mort, auquel Artaud nous convie parfois (« j’ai franchi la
mort, la sombre mort, par la vie, et rester mort c’est trahir la vie », XVI-265) ?
Nous savons que la question de Dieu ne se pose pas chez Artaud de manière univoque
et qu’il a oscillé entre un rejet virulent de toute religion (lors de sa période surréaliste
des années 20-30, et à nouveau après 1945) et une adhésion fervente au christianisme,
entre 1937 et 1945. On notera que cette phase « chrétienne » coïncide exactement avec
ces années où, à la suite d’un effondrement resté assez obscur, il avait été interné dans
différents asiles. L’énoncé que nous citions date de février-mars 1946, à une époque où
il était considéré par ses médecins comme « guéri » et s’apprêtait à quitter l’asile de
Rodez pour revenir à Paris. Plusieurs textes de cette époque présentent son rapport à
Dieu comme une étape peut-être nécessaire mais dépassée dans la reconquête de son
identité. Ainsi déclare-t-il par exemple que « Jésus-christ, dieu, le saint-esprit et Lucifer ne furent qu’une des attitudes prises dans la recherche de mon moi et qui voulurent
rester êtres » (XX-20)
1. Antonin Artaud, Œuvres complètes, Gallimard, t. XX, p. 151. Nous inclurons désormais nos références à cette édition dans le corps du texte.
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