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Citation de Partemps


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Proche parent de celui de Schreber, le Dieu d’Artaud « n’a affaire qu’aux morts »,
parce qu’il est la Mort, l’abjecte jouissance de la Mort. Jouissant de soi-même pour
enfanter notre corps dans un spasme d’agonie, ce Dieu de mort est aussi bien la Mère,
« l’étreinte immonde de la mère » (XIII-77). La fracture qui traverse Dieu paraît donc
recouper le tracé de la différence des sexes : elle oppose, au lointain appel du « Père qui
n’existe pas », la grimace du « dieu » mauvais, qu’Artaud n’hésite pas à baptiser «dieu
la mère» (XXII-135 et 298). Celle qu’il appelle aussi « Madame Morte, Madame Utérine Fécale », une Mère-Dieu excrémentielle, persécutrice, qui aura absorbé toute la
puissance de la « canne » perdue et règne sans partage sur un monde déserté par le Père.
Là encore, le verbe halluciné du poète retrouve l’une des plus « folles » affirmations de la Gnose, qui décelait en Dieu lui-même la jouissance d’une Grande Mère primordiale
et traquait son messie féminin déchu jusque dans les bordels d’Alexandrie. Ici se pose
la question la plus difficile, celle de l’identité sexuelle du « dieu » d’Artaud. Réserver
ainsi le nom de « dieu » à la seule jouissance de la mère (car « le cœur de dieu / s’ouvre
comme un beau vagin / à la messe (…) / pour la réussite de l’abjecte opération », XIII255), n’est-ce pas, en fin de compte, protéger le Père, refuser d’envisager son ambiguïté
radicale à l’égard de la jouissance et ce qui, du Père, participe aussi de « l’abjecte opération »1 ? Il n’aura pourtant jamais cessé de s’en prendre à ce qu’il appelle le « Père
Inné », « ce masque obscène de qui ricane entre le sperme et le caca »2. Est-ce cela, cette
face obscure du Père, son implication dans la jouissance de l’Autre, que vise parfois
Artaud lorsqu’il parle du « Père-Mère » comme d’un « conjoint unique » ? Mais c’est
pour le ramener aussitôt à « l’improbable trou » de la Grande Mère, au « périple papamaman / et l’enfant, / suie du cu de la grand-maman, / beaucoup plus que du père-mère »
(XIII-77)…

1. Sur cette « duplicité » fondamentale du Père, on se référera à F. Balmès, Le nom, la loi, la voix, Érès, 1997.
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