Délire langagier chez un Languedicapé!
Quand j’ai quitté le Nord – Roubaix – en 1975 après dix-neuf en pays picard, je croyais l’avoir perdu à jamais ce Nord picard auquel j’avais tant donné, même si parfois il ne le savait pas toujours. Quelle n’est pas mon erreur ! Et voilà qu’il vient de me rattraper et c’est ce bien bon vieux Jacques Bonnaffé qui atterrit sur mon bureau et j’ai un souvenir attaché à lui à jamais. Un soir chez les Clowns du Prato, au tout début du TGV Paris Lille, il arriva à l’heure vertes mais un peu disjoncté. En effet le TGV qui l’amenait de Paris avait du côté d’Arras fini, sans dislocation il est vrai, dans un champ de betteraves. La voie ferrée avait filé du mauvais coton car une ancienne tranchée de la guerre de 14-18 s’était affaissée au passage du train. Et il donna son spectacle comme si de rien, ou de presque rien. Si j’ai bonne mémoire c’était du Cafougnette.
Ici le texte de base est de Jean-Pierre Verheggen, un Belge Wallon, même si son nom est flamand, avec quelques petits texte empruntés comme des citations, et en particulier un Cafougnette à Ostende de Mousseron. Le travail d’écriture est simple c’est ce que Verheggen appelle « le pêché de chair linguistique » et le poète est un « languedicapé ». C’est du délire linguistique. On est au-delà de la langue. On est dans l’inconscient hormonal du plaisir de bouche, comme Claude Olivenstein pourrait dire qui a défendu en son temps que tous les plaisirs ne sont durables et satisfaisants que dans la mesure où ils passent par la bouche et donc le pêché de chair linguistique est d’abord et avant tout un pêché de bouche, et je ne dirai pas tout ce que ce poète Wallon fait de ce pêché de bouche, bien que le plus souvent il prêche par un autre orifice corporel que celui-ci, l’orifice corporel par lequel ce qui est entré par la bouche finalement sort de sa prison de chair. Enfin presque tout car je doute que l’objet d’une simple fellation n’atteigne jamais cet orifice qui est selon Dante la porte de sortie de l’enfer, recevant de par-là des lettres de noblesse.
J’imagine que la praline de notre poète est de la même essence que le « brun d’ c’va » comme on dit en picard, des boules rondes qui s’enfilent les unes sur les autres.
Mais il n’y a pas que le pêché de chair linguistique qui compte. Il y a aussi le pêché d’OS informatique, vous savez Windows, l’informatique qui nous ouvre toutes ses fenêtres sur toutes les langues et tous les mots qui n‘ont d’équivalents civilisés dans aucune langue car la civilis est une maladie qui peut être mortelle, voyez Rimbaud qui a trop copulé avec les moucherons de la pissotière de l’hôtel avec ou sans Verlaine, un cousin distant de Verheggen qui tous les deux font des vers, parfois des vers qui sont plus érotiques que simplement respectables et petit-bourgeois, petit parce que la poésie ne plait jamais aux grands bourgeois car la poésie ne fait pas de fric et n’est pas cotée en bourse. Mais le délire des sens dans tous les sens, sens dessus dessous, et même à contre sens dans une langue à jamais enfermée dans un sens giratoire qui ne finit jamais de tourner en rond. C’est pas qu’ils voient jaunes nos poètes, ou même gilet jaune, mais c’est que les mots qui s’enchainent sans fin finissent toujours par s’empiler en de vastes carambolages embouteillés dans de vrais étranglements de goulot qui vous montent à la tête, comme la liqueur de la bouteille, de l’absinthe, n’est-il point. Et c’est bien ce qu’ils cherchent nos poètes. Pas faire sens mais donner le tournis au public qui se raccroche alors aux branches quand il en voit une, quand il est capable de la saisir, et tout le monde sait qu’un Auvergnat ça va, mais plusieurs c’est l’enfer. Auvergnats s’abstenir !
Mais ce type de poésie ne fonctionne qu’oralement , d’où le titre. Il faut que nos oreilles soient assaillies de mille mots en une minute pour que le plaisir de la douche écossaise fonctionne et que la mayonnaise prenne ici et là. Je ne pense même pas que chacun d’entre nous dans le public verrait des moments humoristiques entrainant le rire tous en même temps. Encore faut-il que les éléments mémoriels, les incongruités et les absurdités soient reconnues par chacun en fonction de ses propres atomes crochus. J’espère que personne ne croit que l’humour est la chose la mieux partagée du monde, car ce n’est pas vrai. Il n’y a que les gens qui ne comprennent pas les moments humoristiques qui rient tous ensemble car l’important pour eux c’est de rire tous ensemble, peu importe sur quoi. Et je ne comprends pas pourquoi je ris peu importe car l’important c’est de rire avec les autres.
Et pourtant ce texte est une mine d’un anthracite si noir qu’il m’en donne le deuil, dernier puits de mine fermé dans le Nord, Oignies, 1986, et chaque ligne aurait besoin d’une explication, même si nous y perdrions l’humour et probablement nos pédales, ce qui risque d’être très critiqué en nos temps écologiques bicyclistes pour ne pas dire queer, mais dans ce cas ce mot n’est plus politiquement correct, car il y a longtemps lurette qu’on ne pédale plus dans la semoule.
À ne consommer qu’avec parcimonie et modération et surtout à éviter en conduisant. Le résultat pourrait être catastrophique. Soit dit en passant, Jacques Bonnaffé donne à cette poésie la truculence d’une lecture déjantée et cela rejoint très bien les pédales que j’avais perdues juste avant. Ce n’est pas sans chemise et sans pantalons mais en caleçon. C’est bien plus et définitivement sans jantes et sans pédales. Je me demande si je n’ai pas perdu cette fois et en même temps mon caleçon dans cette épreuve de dénuement.
« Cachez-moi, petit homme, ce posté-trop-rieur
Qui ne plait ni ne fait plus rire que les pots
Autant se taire en or que se faire en argent.
Le silence vaut bien une action de vaurien. »
Bonne soirée en cette très mauvaise compagnie poétique et pensez très fort à retrouver les pinderlots d’la Castafiore, perdus au château de Moulinsart, un joli moulin sur une rivière, pardon eun’ sart, de petite montagne.
Dr Jacques Coulardeau
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