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Critiques de Jacques-Henri Michot (1)
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Comme un fracas : Une chronique

Comme un fracas de Jacques-Henri Michot – Editions Al Dante



Comme un fracas est une chronique, un journal tenu presque quotidiennement par Jacques-Henri Michot entre le 29 avril 2008 et le 29 avril 2009. Pour qui ne le connaîtrait pas, comme moi avant de lire ce journal, Jacques-Henri Michot est né en 1935, a enseigné la littérature comparée, l’histoire du jazz et le théâtre. Il est notamment spécialiste de Brecht, dont les citations émaillent Comme un fracas.



Difficile de faire la chronique d’un journal. Comme le veut souvent l’exercice, celui de Jacques-Henri Michot mêle commentaires de l’actualité, réflexions plus générales sur la politique, l’art ou la littérature, citations diverses, et considérations d’ordre plus personnel. A mon sens l’alchimie d’un journal réussi – réussi du point de vue du lecteur - ne tient pas tant au dosage de ces différents ingrédients, qu’au fait qu’ils perdent leur singularité pour constituer une seule matière. Dans un journal réussi, le particulier, l’anecdotique, l’article de journal s’ouvre sur l’universel, et vice-versa, sans que l’on ne cesse d’entendre une seule et même voix. A la lecture de Comme un fracas en revanche, les ingrédients sont bien distincts, ils ne se mélangent guère.



Les cinquante premières pages sont à cet égard significatives. De la confession régulière de l’auteur, elles ont été rédigées sous l’emprise de l’alcool. Et si c’est probablement dans ces pages que les ingrédients sont le plus intimement mêlés, dans une farce plus fine, ils le sont sous la forme d’un monologue sans grande considération pour le lecteur : Jacques-Henri Michot enchaîne les coq-à-l’âne, entame une citation, mais s’interrompt parce qu’elle lui rappelle un morceau de musique, on ne saura pas lequel, parce que cette musique, il la dédie à une femme à laquelle il s’adresse soudainement, ce qui lui inspire une autre citation, mais en allemand et ainsi de suite. Cette impression d’être brinquebalé dans un stream of consciousness qui se fout bien de savoir si on le lit ou pas est renforcée par le choix de l’auteur de ne faire figurer ni ponctuation ni majuscule dans son journal, hors les citations. On lit ces cinquante premières pages avec l’impression d’être un barman qui nettoie les verres en écoutant sans l’écouter son dernier client marmonner pour personne, avachi sur le comptoir.



Par la suite, Jacques-Henri Michot arrête de boire, et les entrées quotidiennes deviennent plus construites. Mais l’impression de juxtaposition d’éléments subsiste :



- Une litanie de morts célèbres, comme une toise sous laquelle il ne cesse de mesurer sa propre vieillesse. Jacques-Henri Michot a 74 ans, et il est « absolument sûr qu’[il] ne sera plus sur cette terre en 2015. » Ce qui donne de multiples références sur le modèle « henry james a vécu jusqu’au 2 août 1910 j’ai dépassé aujourd’hui de huit jours la durée de son existence. »

- Une mécanique d’éphéméride un peu systématique, consistant à parler le 15 juillet 2009 d’un événement survenu le 15 juillet 1840.

- Des recherches érudites parfois passionnantes (sur les incarnations de Spartacus dans l’art et l’histoire, par exemple), parfois vaines (lorsqu’il recense les apparitions de l’expression « ma pauvre tête » dans la littérature, faisant preuve d’une mémoire et d’une patience respectables, mais pour un résultat finalement assez proche de ce que peut renvoyer une requête dans Google Books)

- Des anecdotes historiques sur la Terreur, Saint Domingue, la Commune, octobre 1961 etc. là encore passionnantes, mais aussi étouffantes car illustrant à chaque fois la barbarie de l’homme, thème central du journal, et manifestement de l’œuvre de Jacques-Henri Michot, auteur par ailleurs d’Un ABC de la barbarie.

- Une déconstruction du langage médiatique et de la manière dont il informe le monde, sur la base d’articles de presse traitant de l’immigration clandestine, de bavures policières, du conflit israélo-palestinien (j’emploie cette dernière expression neutre à dessein. Jacques-Henri Michot lui préférerait certainement « résistance à la colonisation israélienne. »)

- Des citations en pagaille, littéraires, cinématographiques et musicales. Comme il le dit quelque part (je cite de mémoire) : « certains mettent leurs livres dans leur bibliothèque, moi, je mets ma bibliothèque dans mes livres.»

- Et en filigrane, des déclarations d’amour répétées à une femme dont on ne saura rien, sinon qu’il en est fou, et que cet amour n’est pas réciproque. C’est cette femme qui donne son titre au journal, ayant répondu à Jacques-Henri Michot, à la lecture des premières pages : « c’est comme un fracas »



Mais le plus gênant pour le lecteur de Comme un fracas n’est pas tant cette juxtaposition – après tout, il y a des fourre-tout de génie – que le sentiment d’incommunicabilité qui marque le texte.



Dans les premières pages, Jacques-Henri Michot se place sous le patronage homophone d’Henri Michaux, tout entier tourné vers son lecteur : « Je compte sur toi, lecteur, sur toi qui va me lire, quelque jour, sur toi lectrice. Ne me laisse pas seul avec les morts comme un soldat sur le front qui ne reçoit pas de lettres. Choisis-moi parmi eux, pour ma grande anxiété et mon grand désir. Parle-moi alors, je t’en prie, j’y compte. »



Et pourtant, on a souvent la désagréable impression que Jacques-Henri Michot écrit surtout pour lui, et plus encore pour elle, pour cette « lectrice » qui hante le texte :



« emphase ridicule que ces lignes

je les conserve pourtant comme traces de ce dimanche 14 septembre 2008

mais lectrice lecteur traces à mon usage non au vôtre

alors pourquoi –»



« de la rochefoucauld j’ai recopié à ton intention les maximes 423 et 444 je pourrais les reprendre ici mais je choisis de faire le pari à l’évidence des plus risqués que en l’occurrence surtout vous lectrice voudrez peut-être prendre connaissance de ces maximes-là »



« et toi seule comprendras pourquoi je ne peux résister à citer ces vers-là »



Rien de plus agaçant que quelqu’un qui vous parle mais ne cesse de vérifier du coin de l’œil si la jolie fille de la table d’à côté l’entend bien briller. Jacques-Henri Michot est injuste, il supplie le lecteur de ne pas le laisser seul, mais l’abandonne au beau milieu des paragraphes dès qu’il a mieux à faire. Le meilleur exemple de ce mépris du lecteur, pas nécessairement au sens de surplomb, mais plutôt de négligence, se trouve à la page 334. La nuit du 31 décembre, Jacques-Henri Michot regarde Körkalen, de Sjöström à la télévision. Il ne résiste pas au plaisir de partager la dernière scène :



« il murmure quelques mots qui apparaissent sur l’écran après quoi il baisse la tête et ces mots sont :



Gud, lat min själ fa komma till mognad, innan den skall skördas !



je ne les traduirai pas »



De fait, il ne les traduit pas. Et c’est agaçant. Comme peuvent agacer les jeux typographiques au fil du texte, gras, italique, taille de police, mise en page, tout change sans correspondance lisible. La petite police est celle, pudique, des chuchotements à l’aimée – qui n’en sont que plus visibles – mais elle peut aussi servir à une citation ou à la description d’un morceau de musique, qui quelques pages plus tôt aurait été deux fois plus grande, en gras, ou en italique, peu importe.



L’incommunicabilité est là, et c’est plus triste, même lorsque Jacques-Henri Michot se soucie enfin de son lecteur et qu’il tente sincèrement de partager quelque chose avec lui : les longues descriptions de morceaux de musique laissent de marbre, parce qu’il ne cherche pas à en faire de la littérature, mais à restituer le morceau, avec la froideur d’une partition ; les listes de noms qu’il substitue, pour laisser une trace, aux chiffres anonymes des dépêches ( « 72 enfants palestiniens tués en 2008 ») finissent par ressembler à ces monuments aux morts, sur les places de village, sur lesquelles le regard glisse sans s’arrêter; le sommet de l’incommunicable étant la description laborieuse d’un dessin de Quino, l’auteur de Mafalda, qui l’a fait éclater de rire. Il rit seul. Rien ne passe : les histoires d’oignon n’ont jamais fait pleurer personne.



Pour conclure sur les larmes, justement, il se dégage de Comme un fracas une vraie tristesse : celle d’un homme « seul dans son terrier » qui voit la mort approcher, celle de la permanence de la barbarie, de la Commune à Guantanamo, celle de cet amour dont il comprend à mi-journal qu’il ne lui sera jamais rendu, mais avant tout celle de l’incommunicabilité. En refermant le journal on sait que Jacques-Henri Michot nous a parlé, parfois, et qu’on ne l’a pas vraiment entendu. C’est triste.
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