Jacques Laurent

Roger se tourna vers Clotilde: "Fardez-vous outrageusement", dit-il. "Ce soir, il s'agit de séduire les Allemands, de leur faire tourner la tête, de les rendre irrationnels pour les faire parler." Puis, devant l'air interrogateur de Clotilde, il crut bon d'expliquer: "Voyez-vous, Hitler et les nazistes (sic!) se sont mis dans la tête de libérer la femme, de lui restituer sa beauté naturelle. Ils ont interdit l'usage du maquillage comme dégradant il y a dix ans. Ils surveillent de très près les pratiques comme les promotions canapé qui chez nous font florès. Ils considèrent tout ça comme autant de "juiveries", de signes de corruption. Nous, en Occident, nous avons majoritairement des femmes qui sont des bonniches par obligation et des putains volontaires. Eux, ils ont créé les femmes cinéastes, les femmes aviatrices, les femmes officiers, les femmes ingénieurs, les femmes exploratrices. Maintenant, prenez ces gros boches de la Wehrmacht. Ce n'est pas la SS. Ce sont des ploucs, des militaires. Précisément ces sacs à bière bestiaux dont Hitler, qui est végétarien, qui n'a jamais bu une goutte d'alcool et qui écoute Lohengrin veut épurer le peuple allemand pour le transformer en race héroïque. Ces épais doryphores sont ravis par l'exotisme de notre pays de catins, sevrés par dix ans de femmes libres et sans maquillage; fardez-vous, Clotilde, vous allez leur faire oublier tout calcul. Mais souvenons-nous. Quand la France va les chasser, l'épuration sera féroce pour les femmes. Elle sera d'une cruauté exemplaire. Car les hommes, en France, ressentent durement, par contraste, que leurs femmes soient les salopes des envahisseurs. Ils se taisent aujourd'hui. Ils n'en seront que d'autant plus inhumains, faites-moi confiance. C'est pourquoi j'ai déjà prévu que vous prendriez un avion pour New York à ce moment-là. Pour la médaille, je vous la remettrai une fois que tout sera tassé."