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Citation de collectifpolar


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Balade en sous-sol
— Rentre chez toi, Nadia, tu as l’air d’un zombie, proposa le lieutenant Rodolphe Drancey.

— La comparaison est charmante, je te remercie, grommela Nadia Barka en épluchant les documents que venait de lui déposer un de ses équipiers. Ça fait deux mois qu’on court après ces trafiquants qui fournissent en drogue les lycées de Grenoble. Je ne dormirai pas tant que je ne les aurai pas chopés.

— Enfin, pour ce qui est de ton sommeil, en ce moment…

Rodolphe Drancey regretta aussitôt cette allusion, craignant une réaction disproportionnée de sa collègue. Perdue dans ses pensées, elle ne semblait pas l’avoir entendu. Elle referma le dossier, le posa dans une bannette et se leva.

— Tu as raison, je continuerai demain. Je n’arrive même plus à distinguer les mots. Il faut que je me bouge un peu.

— À vingt-trois heures ?

— Y a pas d’heure pour les braves, non ? Une patrouille de la BAC part dans cinq minutes. Je vais leur demander de me joindre à eux.

— Plutôt que de tourner en voiture dans Grenoble, tu ferais mieux d’aller retrouver Étienne et ta fille, et de te coucher.

Nadia le foudroya du regard.

— Là, Rodolphe, tu me gonfles. Ma vie privée ne te regarde pas, OK ? Je ne sais pas si Étienne est venu pleurer chez vous, mais moi, quand j’aurai besoin de tes conseils, je te ferai signe.

— Il n’empêche que, depuis quelques semaines, c’est nous qui devons subir ton humeur de dogue !

— Et ça perturbe ton petit cerveau à ce point-là ?

— Non, mais puisque nous en sommes au chapitre des amabilités, je tiens à te dire qu’on commence à en avoir plein le cul de se faire rembarrer dès qu’on pète de travers.

Furieuse, le capitaine Nadia Barka attrapa son Sig Sauer SP2022 réglementaire et fourra dans la poche de son blouson une matraque télescopique.

— Tu pars à la guerre ? demanda ironiquement Drancey.

— Ta gueule ! jeta Barka en quittant la pièce d’un pas rapide.



La voiture circulait lentement dans les rues désertes de Grenoble. Les trottoirs conservaient encore la trace des chutes de neige de la semaine précédente. Le temps était particulièrement froid pour la mi-mars. Nadia Barka somnolait, installée à l’arrière de la Peugeot 308 banalisée. Les deux gardiens de la paix avaient été surpris par la demande de leur collègue. Cependant, leur troisième équipier venait de rentrer chez lui, terrassé par la grippe, et ils connaissaient la réputation du capitaine Barka : dure au mal et efficace. Par ailleurs, patrouiller avec une jolie fille n’avait rien de désagréable, même si elle avait à peine ouvert la bouche depuis leur départ. La radio se mit à grésiller. L’homme assis sur le siège passager la saisit, entama un court dialogue et raccrocha.

— Une intervention pour nous, au bas du cours de la Libération. Un gamin a appelé le central. Sa sœur est en train de se faire violer par plusieurs individus dans le parking d’un immeuble.

— File-moi l’adresse exacte ! demanda le conducteur en appuyant sur l’accélérateur.

La nouvelle avait provoqué chez Nadia une décharge d’adrénaline.

— Que comptez-vous faire ? interrogea-t-elle d’une voix rauque.

— Le gamin est censé attendre devant l’entrée principale. On découvrira vite si c’est un coup monté ou pas. On n’est plus qu’à deux rues. Si ça sent l’embrouille, on appellera des renforts.

— Que ça sente l’embrouille ou pas, je vous demande une faveur. Laissez-moi intervenir.

— Ça peut être dangereux, capitaine. Vous savez comment ça réagit dans certaines zones !

— Je suis parfaitement au courant. Je sais aussi qu’une gamine est en train de se faire violer par plusieurs salopards. Et là, ce sont mes tripes qui parlent. Vous aurez juste à me couvrir si ça part en vrille. Je prends la responsabilité de tout ce qui peut arriver.

Les deux hommes s’interrogèrent du regard, conscients que la requête de leur collègue était tout sauf réglementaire. Ils devinaient des tremblements de fureur difficilement contenue dans sa voix. Ils ne mirent qu’une seconde à s’accorder. Le capitaine Barka allait faire ce dont ils avaient envie depuis longtemps : dépasser les limites de la loi pour faire justice !

— OK, capitaine, vous prenez la direction de l’opération, annonça le conducteur en garant discrètement le véhicule à une cinquantaine de mètres de l’entrée principale.

Devant la porte, un garçonnet balayait l’avenue du regard, visiblement paniqué. Les deux flics quittèrent la 308 et enfilèrent leur brassard. Ils se retournèrent : Nadia était encore à l’intérieur. La scène les stupéfia. Éclairée par la lueur diffuse d’un réverbère, elle venait de retirer son blouson. Elle passa son pull par-dessus la tête, et ils devinèrent un soutien-gorge rouge sur une peau bronzée. Troublés, ils la regardèrent remettre son blouson d’hiver et sortir à son tour de la voiture.

— Allez, on se dépêche ! lança-t-elle en trottinant vers le garçon qui les avait aperçus.

À peine âgé d’une dizaine d’années, il avait remarqué les brassards siglés des hommes de la BAC. Il se jeta pratiquement sur Nadia, puis, hoquetant, supplia :

— Venez vite, ils font du mal à ma sœur. Elle n’arrête pas de crier.

— Comment tu t’appelles ? l’interrogea-t-elle avec calme.

— Yaya, m’dame.

— Yaya, dis-moi combien de garçons sont en train d’agresser ta sœur.

L’enfant se concentra quelques secondes.

— Ils sont quatre… Ils l’ont emmenée là-bas, lança-t-il à toute vitesse en montrant du doigt l’entrée d’un garage souterrain. Je me suis enfui, sinon ils m’auraient battu.

Yaya avait du mal à retenir ses sanglots. Son histoire sonnait juste. Le capitaine Barka envoya l’enfant vers les deux policiers.

— Assez perdu de temps. Personne ne traîne dehors par ce froid glacial. On ne risque pas l’émeute. Je passe devant, intima-t-elle. Vous me suivez, mais vous ne vous montrez pas avant que je vous en donne l’ordre.

Les hommes de la BAC acquiescèrent, conscients qu’ils allaient plonger en pleine illégalité dans les prochaines minutes. Nadia poussa la porte rouillée du parking. Les échos de halètements, de rires gras et les supplications d’une voix féminine la cueillirent. Électrisée, elle dévala les quelques marches de l’escalier. Elle emprunta le couloir d’accès qu’une peinture blanche et lépreuse rendait définitivement déprimant. Dans le sous-sol, une trentaine d’emplacements, pas tous occupés. Une dizaine de mètres sur sa droite, dans un coin, trois silhouettes s’acharnaient sur le corps d’une jeune femme qui se débattait. Un quatrième personnage, vêtu d’un blouson bomber, les regardait en hurlant des obscénités. Une rage froide submergea la policière. Tout le stress qu’elle accumulait depuis des semaines la quitta, laissant place à un flot de haine pure. Ils paieraient, bien plus qu’elle ne l’avait envisagé en sortant du véhicule.

Elle ouvrit largement sa veste et avança d’un pas calme, trop calme, vers les quatre truands. Le bruit de ses bottes ferrées claquant sur le sol en béton attira l’attention du type au bomber. Il ne lui fallut qu’un instant pour prévenir ses complices :

— Eh, les keums, matez la gonzesse. Sam, viens voir.

Le capitaine Barka s’arrêta à trois mètres d’eux, campée sur ses deux jambes, les bras croisés. Elle savait à quoi elle ressemblait : une walkyrie en jean, bottes en cuir et sous-vêtement apparent qui mettait en ébullition le crâne de quatre enfoirés.

— Relâchez cette fille, ordonna-t-elle sans élever la voix.

Les trois violeurs s’étaient relevés, le sexe toujours à l’air.

— Ouah, dicave ses boobs ! jeta Sam, le plus âgé, à ses deux potes. Alors la MILF, tu veux te faire tringler en cachette de ton mec ? Tu vas t’éclater avec nous !

— Relâchez cette fille. Dernier avertissement.

— Oh, putain, comme tu me fais flipper grave, lança l’homme au bomber avec un rire agressif. Non seulement on va pas te laisser repartir, mais tu vas nous tenir compagnie toi aussi. On a tout notre temps, et vu comme t’es gaulée, on est partis pour passer la nuit avec toi.

Nadia ne répondit pas.

— Tu fais ta chochotte ? Faut pas avoir peur ! Tu la vois celle-là ? reprit Sam en prenant sa verge en érection à la main. Elle est pour toi. D’abord dans ta petite bouche de salope, et ensuite dans ton cul.

Les quatre hommes, âgés d’une vingtaine d’années, l’entouraient maintenant. Cette splendide femme mature représentait une pièce de choix bien plus excitante que la pauvre fille de seize ans recroquevillée dans son coin. Nadia savait pertinemment que ce qui leur tenait lieu de cerveau était anesthésié par la vue de sa poitrine. Ils n’avaient plus qu’un objectif : abuser d’elle. Elle serait d’abord violée par le chef de leur bande, sans aucun doute celui qui avait la bite à l’air. Les autres, dans un acte héroïque, la maintiendraient pour qu’elle ne se débatte pas. Ils auraient ensuite le droit de se servir. Elle observa leur position, prête à agir.

— Saïd, Marvin, attrapez-moi cette pute. Je vais lui défoncer sa chatte !
Nadia Barka attendait cet ordre. Un sourire mauvais déforma son visage. Tout à leurs fantasmes, ils ne s’en aperçurent pas. Les deux acolytes se précipitèrent sur elle. La flic avait déjà avancé d’un pas. Avec une force phénoménale, elle envoya son pied dans le bas-ventre de Sam. L’homme, sans un mot, s’effondra.
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