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Critiques de James Rousseau (3)
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Physiologie du viveur

Plus vigoureux qu'un flâneur, moins prétentieux, artificiel et recherché qu'un lion du Jockey's club, le viveur est un jeune insouciant festif, gai, plein d'esprit, de bons mots et rentier.

Différent encore d'un bon vivant bourgeois : « homme quelconque, gros, gras et bête ; rouge et bien nourri, ayant toujours faim à son heure, accaparant à table la meilleure place, la conversation et les bons morceaux »

La table n'est qu'un prétexte à la plaisanterie, l'allégresse : « Liberté de rire de tout, de parler à tort et à travers, si vous lui posez le stupide frein des convenances, vous le paralysez, vous le rendez muet ; il ne mange plus, il ne boit plus, il ne remue plus : c'est une machine à vapeur sans chaudière, c'est un moulin quand le vent ne souffle pas »



Il est jeune et bien prédisposé de façon à endurer une vie anarchique, irrégulière : « Pour être viveur, il faut avoir une de ces larges poitrines dans lesquelles le coeur bat à l'aise au contact de toutes les passions, de tous les plaisirs »



Involontairement paresseux car au-dessus de toute norme, ne distinguant pas même le jour de la nuit : « Pour lui, le jour n'existe pas, la nuit n'est qu'un mot ; les ridicules divisions établies par la science et la civilisation se fondent pour lui en un tout homogène et compacte. S'il y a une différence du jour à la nuit, c'est que l'un est éclairé par les rayons du soleil, et l'autre par des bougies. »



Il n'est pas plombé dans la mollesse, il cumule tout un tas d'activités sociales sans planification et qui l'occupe entièrement, se laissant-aller à l'imprévu : « N'allez pas croire, pour cela, que le viveur laisse sommeiller et s'éteindre son intelligence. Oh ! Que non pas ! Il l'applique à la « viverie » (mot qu'invente l'auteur), rien qu'à la viverie, qui suffit bien à l'occuper tout entière. »

« le viveur se réveille en riant ; il allume un cigare, et, tout en suivant de l'oeil les dessins capricieux produits par la fumée, il rêve à sa journée ; il se demande auquel des projets de la vieille il donnera la préférence »



Sa journée type consiste à se rendre au café Anglais, se joindre à des camarades attablés, reprendre sa promenade après son 15ème cigare, se faire accoster par d'autres groupes de viveurs, hésiter entre poursuivre sa journée vers tel café ou un autre... Tant d'aléas dans ses diverses activités qu'il en oublie un rendez-vous galant pour finalement rejoindre un autre café où il dînera avec ses semblables et où chacun rivalise de jeux de mots saugrenus, d'anecdotes piquantes :

« Céline, qui veut me donner les honneurs de la paternité, m'écrit le plus sérieusement du monde qu'elle espère bien que je reconnaîtrai l'enfant »

« j'ai répondu à la touchante et maternelle épître : Mademoiselle, comment diable voudriez-vous que je reconnaisse l'enfant ? Je rencontrerais la mère dans la rue, que je ne la reconnaitrais même pas »

« Un immense éclat de rire accueille cette folie plaisanterie, et la conversation se fond en un bourdonnement, au milieu duquel on ne peut plus distinguer une syllabe. »



Décourageante insouciance qui nous nargue, nous, commun des mortels :

« Le temps que vous consacrez, vous autres niais, à savoir comment vous gagnerez de l'argent, il l'emploie à savoir comment il dépensera le sien ; pour vous, les affaires sont un moyen de vous donner de loin à loin quelque plaisir ; pour lui, les plaisirs sont un moyen de ne jamais s'occuper d'affaires »



Il n'y a pas de viveur sans dette, bien trop étourdi pour penser à ses créanciers « Où voulez-vous qu'il prenne le temps de penser à ses détails infimes de la vie qui consistent à savoir que, tel jour, on a une facture à payer à son tailleur, sous prétexte qu'il vous a fait des habits, ou un billet à acquitter envers le bijoutier, pour quelque cadeaux à une lorette exigeante ? »



Si vous osez lui demander quand est-ce que vous serez payé, il vous répondra en toute indifférence par l'une de ses formules toute faite, merveilleusement irrévérencieuse et déconcertante : « Mon cher, vous êtes bien curieux…»

Se déplacer d'un point A à un point B représente pour les viveurs un véritable labyrinthe : à chaque coin de rue peut se former une barricade de créanciers : tailleur, restaurateur, bijoutier, impayés depuis plusieurs mois… Tous prêts à les assaillir, autant d'ennemis à éviter, de plans nouveaux à concevoir pour zigzaguer habilement en public.



Le souper est une institution, pas un dîner sans souper. Si tous les restaurants sont fermés à 2H du matin, que personne ne donne souper chez lui, c'est encore l'imprévu, la providence qui le leur proposera : le groupe de viveurs se rue vers les seuls commerces encore ouverts, et si ce n'est qu'un simple bureau de loterie, ils ordonneront d'être servis là, immédiatement. A force d'audace et d'une lourde insistance, le buraliste se laisse séduire par l'invitation et apporte 3 bouteilles de sa cave, trinque, cause, chante et rit, en compagnie des jovials viveurs.



Le viveur méprise ce qui est commun, sot, ou prétentieux. S'il vous invite à une soirée quelconque, la formule d'invitation sera toujours intrigante, curieuse, drôle : l'un d'eux se sert d'un huissier et fait signifier aux invités une sorte de sommation à dîner : « à la requête de …. Appelé à comparaître par devant M(…), restaurateur, au lieudit … pour s'y voir condamner à prendre sa part d'un dîner dont suit la teneur … lui faisant savoir que, faute par lui s'y trouver, il y sera contraint par toutes les voies de droit et même par corps »



Qu'importe le prix, l'inutilité, l'irresponsabilité de ses folles dépenses : « j'entends d'ici se récrier les honnêtes marchands, adjoints au maire et chevaliers de la Légion d'honneur « quelle prodigalité ridicule !… tant de francs pour des invitations à dîner… Quand on eût pu placer cela à la Caisse d'épargne ! » Oui mes braves gens, vous êtes estimables, adorables, incroyables… Vous montez très exactement votre garde, vous payez vos impôts régulièrement, vous avez beaucoup d'enfants… Bravo ! Je vous bénis ; mais ne touchez pas aux viveurs. »



Que le monde se porterait mieux s'il y avait des viveurs dans l'administration, au gouvernement : « La monarchie de juillet n'avait qu'a bourrer de viveurs les corps constitués de l'Etat » et pour exemple cite l'absurde préfet de police qui prend une invitation à dîner en plein air pour un avis de réunion à une société sécrète ! Excellente prédiction pour un ouvrage écrit 6 ans avant la révolution de 1848, fondée sur le prétexte de l'interdiction d'un banquet par le préfet.



Passé 30 ans, le viveur s'use vite et ne trompe plus personne quand il s'efforce de se joindre à de jeunes viveurs, il reste invariablement perçu comme un : « vieux général que la fortune a abandonné et qui perd toutes ses batailles. »

Ses cheveux s'argentent, son front plisse, son ventre prend la forme d'un potiron, les femmes l'appellent « gros père »…

Après quelques temps passés dans le déni, il se lamente et : « les projets les plus sinistres se heurtent contre les parois de son cerveau malade. Si je me pendais ! S'écrie-t-il. Si je me brûlait la cervelle ! Si je m'asphyxiais ! Si je me noyais ! Si je me rasais la tête ! Si je me mariais ! … »

« Et de toutes ces expiations, choisissant la pire, il se lève, prend son chapeau et court immédiatement à la recherche d'une femme »



Pauvre épouse qui devra subir cet être immoral et instable ! Qui devra se sacrifier pour tempérer les folies de son époux. C'est tout le contraire nous dit l'auteur, l'homme trop lisse, sage, impeccable, sans reproche est douteux car : « les folies qu'il n'aura pas faites étant garçon, il les fera étant marié, et un beau soir il rentrera près de sa femme :

- la bourse mise à sec par le jeu,

- le torse aviné et les jambes titubantes,

- le bras en écharpe par la grâce d'une belle de pistolet (...)

Que si au contraire, tous ces accidents lui sont arrivés sous son règne de célibataire, ce sera un petit mari modèle ;

- Il ne boira plus que de l'eau,

- Il ne jouera plus qu'au loto ou à l'oie,

- Il ne fera plus la cour qu'à sa femme »



C'est un « certificat de mauvaises moeurs » qui devrait être produit par le gendre aux beaux-parents afin de les rassurer.



Bien sûr, notre viveur ne s'accommodera pas des banalités du mariage : « Jugez ce que c'est pour le viveur, habitué à de joyeux compagnons, de donner à dîner au père de sa femme ou bien d'aller manger la soupe chez la tante de sa femme, ou bien passer la soirée chez la grand-mère de sa femme. Les grands parents peuvent être de fort braves gens et de citoyens irréprochables ; mais ils n'ont qu'un moment agréable dans la vie, c'est celui où l'on en hérite »



Mais plutôt que de s'alanguir à de futiles activités, il redirigea ses batteries vers la politique : « Là on a des coudées franches, et l'on peut déraisonner sans se donner de peine. Avec une douzaine de phrases toutes faites et que l'on applique à tout, on donne de ses vues sur l'économie politique et sociale, une opinion formidable, et l'on peut affronter un collège électoral. Voilà l'affaire du viveur trouvée. Il découvre un petit bourg où, sur cent électeurs, il n'y en a pas dix qui savent lire. Il s'y présente, la tête haute, le sourire aux lèvres, et lance son programme, bourré de promesses comme tous les programmes du monde. Il fera ouvrir des routes, construire des ponts, élever des fontaines ; il se fait fort d'obtenir du pacha d'Egypte un obélisque pour la place de l'Eglise, et, du roi une seconde colonne Vendôme pour la place de la mairie. Si l'on manque d'eau, il vous fera venir la mer : les ponts et chaussées ne lui refuseront pas ce petit service-là.

Le voilà nommé ! »



Député exemplaire, le parlement n'est pour le viveur qu'une chambre d'enregistrement, toujours admiratif, débonnaire quand un de ses anciens camarades viveurs ministres ou députés royalistes prend la parole : « le viveur ne commet pas le plus petit discours, ne hasarde pas la plus mince idée ; mais il a un admirable don pour crier : bravo ! Très bien ! À toutes les paroles des ministres, et à l'ordre ! À tous les discours de l'opposition. Pour lui, le mandat de député semble n'avoir d'autre but que de refaire un peu de « viverie » et de se re-champagniser au meilleur marché possible »



Immoral ou non, le viveur est traité en enfant trublion mais privilégié, gâté et protégé par l'auteur. Sa politique se résume ainsi : plus de viveurs en notre bas-monde ! Ni plus, ni moins. Il nargue le reste de la société avec un cynisme impressionnant et un humour moqueur d'une âpreté sèche.
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Physiologie du Robert-Macaire

Cet adroit filou, voleur poli, joyeux brigand, aussi dénommé « Robert-Macaire » est tiré d'une pièce de théâtre où il constitue le personnage principal.

Il représente parfaitement le 19ème : « il est bien l'enfant de ce siècle » ; pour lequel « depuis 1815, on a remplacé le principe honneur par le principe argent » (Balzac - Melmoth réconcilié).

Ce mauvais germe social se greffe sur tous les corps de la société. D'une grande bonhomie, il est avenant, affable, aime à se parer des plus grandes vertus et a souvent de l'esprit et ou de l'originalité dans ses démarches.



Les plus audacieux vont jusqu'à orchestrer une fausse noyade : un complice se jette à l'eau, affole les passants, le Robert-Macaire le sauve puis conduit triomphalement le miraculé vers une foule euphorisée par ce héros du jour, laquelle s'empressera de lui donner quelques pièces.

Il est d'une charmante immoralité : ce même Robert-Macaire se prendra d'une folle affection pour un pauvre petit orphelin ayant été conduit à l'hospice, le couvrira de baisers et de larmes, lui donnera de quoi manger ou plutôt survivre (des pommes de terre tous les jours). On signale enfin la vertu et l'humanité de ce quasi père adoptif à l'Académie française, qui, émue de ce touchant récit, décernera un « Prix Montyon » au Robert-Macaire, lui octroyant une somme importante en récompense.



De la même manière, exploitant cette fois-ci le filon de l'héroïsme au travers du drame de la révolte Polonaise, qui s'est soldée en une boucherie et des centaines de milliers d'exilés, un Robert-Macaire se fait passer pour un ancien général de l'armée polonaise, qui, portant de fausses chaînes en or et un chapeau terrible, vous conte qu'il a vu périr lors du sac de Varsovie sa famille entière. Tout en contant son récit, il montre sa croix de guerre en diamants et confie qu'il regretterait fort amèrement de s'en déposséder pour de l'argent… Mais nécessité oblige, il n'a pas d'autres choix, il le fait, et sa croix de guerre vaut bien 4 fois le prix qu'il en demande. Impossible de ne pas lui venir en aide si l'on fait en outre une bonne affaire… La Croix de guerre était une vulgaire imitation sans valeur.



Les plus miséreux peuvent encore l'être : le Robert-Macaire savoyard quitte sa région natale en amassant le plus d'enfants perdus sur son passage, et, arrivé à Paris, dépose le bétail dans un sordide grenier, nourrit les mioches de soupe de pain noir à l'eau salé tous les jours, et les envoie attirer la compassion publique la journée entière pour en récolter les fruits le soir même.



Les plus riches se détournent de l'argent au profit d'une course au mérite : « Le Macaire est riche. Son ambition, satisfaite de ce côté, se tourne vers un autre but, vers un but plus noble… Il lui faut la croix d'honneur. Rien ne va bien comme un ruban rouge à la boutonnière d'un philanthrope ».

A cette fin, ce noble esprit désintéressé confectionnera un bouillon infâme gélatineux qui sera servi quotidiennement, au grand jour à tous les miséreux de passage puis déclarera au ministère sa démarche philanthropique et obtiendra ce qu'il mérite tant : la croix d'honneur !



La renommée est parfois seule recherchée, notamment dans le domaine littéraire. Un journaliste, frustré de son anonymat, rédige des lettres aux plus grands auteurs de son temps dans lesquelles en les noyant d'éloges assommantes.

Dès que l'un d'eux, saisi d'un mouvement de gratitude et de pitié, témoigne en retour une cordiale reconnaissance au journaliste, ce dernier brandit aussitôt la correspondance aux éditeurs et aux journaux, lesquels se l'arrachent d'un seul coup : « il avait été méconnu, incompris… » et il dédiera ses vers médiocres tout juste publiés à Victor Hugo comme une intime connaissance.



Plus original encore est celui qui se fait passer pour mort. Est publié dans un journal qu'un auteur : « dont les débuts littéraires avaient jeté un si vif éclat vient de mourir… C'est une perte pour la littérature et pour la société… »

On laisse fermenter quelques jours la curiosité du public et le même journal retranscrit une lettre dudit auteur s'adressant au journal en ces termes : « Monsieur le rédacteur, je vous remercie beaucoup de toutes choses obligeantes que la nouvelle de ma mort vous a inspirées… Mais je m'empresse de vous faire savoir moi-même que j'existe » et voici le Robert-Macaire littéraire sur un piédestal.



Le moyen le plus simple est encore une bonne contrefaçon littéraire mais qu'on ne peut attaquer. le Robert-Macaire est abonné à un cabinet de lecture et veut que lui soit donné tous les premiers exemplaires des romans à paraître. Il transforme un nouveau roman en une pièce de théâtre caricaturant l'oeuvre et le tour est joué, mais il ne vendra sa pièce que s'il est suffisamment rapide… Il n'est pas le seul dans ce domaine.



Une fois acquis le crédit, la renommé, le Robert-Macaire pourra encore grassement en abuser. Il reçoit, grâce à son rayonnement, avec le directeur du théâtre, des manuscrits déposés par des jeunes auteurs suffisamment naïfs pour croire qu'on va les associer. On trie et l'oeuvre sélectionnée, brièvement peaufinée fait briller d'un sang neuf le Robert-Macaire du théâtre, sans que le jeune auteur soit ne serait-ce remercier.



Plus classiquement, les professions libérales que l'on connait tous n'échappent pas au « Macairisme » : c'est si simple d'abuser de la confiance qu'on inspire.

L'huissier place les fonds de son client suite à une créance durement recouvrée pour lequel un rendement de 6% est promis. Ces fonds sont immédiatement prêtés à quelque débiteur en faillite mais de bonne famille, dont le paiement à terme est certain. L'urgence fait accepter au débiteur un prêt à 50% d'intérêts, ce qui fait 44% d'intérêts, déduction faite, à l'huissier.

Plus précaire et original est le notaire qui, s'appuyant sur de prétendues connaissances au ministère, affirme qu'une guerre est proche et qu'il serait bien dommage que les fonds de la vente de son client ne soient dilapidés dans une banque qui ferait faillite… le plus sage serait de les placer dans le coffre du notaire lui-même, seul garant de la restitution des fonds !… La formule est répliquée une centaine de fois et le notaire puise les mains pleines dans son coffre, jusqu'au jour où il s'exilera quand la supercherie sera découverte.

La flouerie de l'avocat doit s'adapter à chaque affaire. Si un contentieux s'élève par exemple pour une succession à plusieurs millions, une transaction peut-être négociée entre avocats, mettant fin au conflit. L'avocat percevant la transaction n'a qu'à affirmer par suite que le montant perçu est de 300.000 à son client au lieu des 500.000 réellement reçus, encaissant la différence.



Accroître sa clientèle est l'unique souci du médecin médiocre jouant des scènes dans des lieux publics pour sa publicité : « Le Macaire médecin a loué à la journée des hommes qui parcourent incessamment le quartier où il demeure, entrant dans chaque maison : « Monsieur le docteur (…) n'est-il pas ici ? Non ? Mon Dieu ? Madame (…), princesse polonaise, l'attend avec la plus vive impatience… Elle meurt s'il ne vient pas… lui seul peut la sauver… » ou dans les restaurants où le médecin dîne : « Monsieur le docteur (…) n'est-il pas ici ? » À voix haute.

Ses consultations sont gratuites et font merveilles, la seule préconisation est d'acheter sa « mixture » qu'il a confectionnée, composée d'un mélange hasardeux de réglisse, rhubarbe et d'eau. Son produit miracle se prescrit pour tout : mal de dents, entorse, maigrir…



Si l'on trouve le médecin trop conventionnel, on a encore le chimiste ! Sa pommade, faite de fourmis broyés, change le caractère, rend sage, rangé, économe…Une eau composée avec le pur sang d'une écrevisse promet également une complète métamorphose. Il fait pousser des cheveux à l'homme le plus chauve avec une pommade si forte que lui-même n'ouvre le pot qu'avec un masque de verre, sinon « les émanations me feraient croître des cheveux sur la face… je ressemblerais à une perruque »

Difficile de distinguer le chimiste de l'honorable pharmacien, qui, en plus de sa pâte pectorale pour le rhume, inventera lui aussi quelque gomme à mâcher qui empêche les dents de tomber et qui en fait repousser, un onguent qui enlève les taches de rousseurs, une graisse qui fait maigrir et une poudre qui fait engraisser… Grâce à lui « la race humaine va devenir un assemblage de petits amours ; tous les hommes auront la tête d'Antinoüs sur le torse d'Apollon ; toutes les femmes, la tête de l'une des trois Grâces sur le corps de l'une des trois Vénus »



Fort heureusement, on peut compter sur la vigilance de quelques honnêtes députés qui traqueront et élimineront tous ces Robert-Macaire… Hélas, sa haute mission n'est pas à la hauteur de sa rémunération, comblée par une bien juste et légitime corruption de copinage qui l'occupe entièrement : « Ce n'est pas si difficile d'être député, vous arrivez, vous vous asseyez au centre, vous écoutez ou vous n'écoutez pas, vous ne parlez jamais, et vous votez pour le ministère, quel qu'il soit, parce que tout ministre a les clefs de la caisse et qu'il ne faut pas se brouiller avec les écus. Par ce moyen, il peut quintupler son revenu facilement »



Il est pardonné ce Robert-Macaire, toutes ses admirables subtilités nous égayent, la monotonie de son siècle est rompue en nous inspirant tant de bons romans par ses basses manoeuvres frauduleuses. Gloire et hommage au Robert-Macaire par l'auteur en cette physiologie !

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Physiologie de la portière

Revanche, amertume et orgueil ; tel est le triptyque de la portière, étrange créature sans liens familiaux, tout droit sorti d'on ne sait quel enfer : « Avez-vous déjà vu une portière qui ait un père ou une mère ? C'est un produit anonyme, qui vient au monde par juxtaposition comme les champignons et les truffes »



Son pouvoir inspire la crainte, elle tient votre quotidien au bout d'un fil, ce cordon qui ouvre la porte : « Elle peut, selon son caprice, vous faire la vie douce ou changer votre existence en un enfer anticipé ». Aussi, elle scinde les locataires en deux camps : ceux qui, hypocrites et diplomates, passent leur temps à endormir l'ignoble cerbère et ceux qui la narguent ou entrent en guerre contre elles. Ces derniers sont plus rares, car on ne gagne jamais contre un tel monstre.



Un rien l'irrite et c'en est finit pour le malheureux locataire : « pour peu que vous ayez fait une observation à la portière, que vous ayez négligé de la saluer en passant… Vous pouvez être sûr qu'elle vous jouera tous les tours qui sont en son pouvoir »

Une lettre urgente sera remise tardivement mais elle vous apportera en main propre avec empressement la signification d'un huissier tout en faisant savoir à tout l'immeuble et devant ses proches si possible que le destinataire est un bien mauvais payeur.

Sa plus savoureuse humiliation est de laisser gémir le locataire dehors sous la pluie quand, passé minuit, l'immoral noctambule demande à ce qu'on lui ouvre la porte.

Dans les pires cas de figure, elle ira jusqu'à radoter au propriétaire qu'un tel dégrade la maison, qu'il arrache les pierres, qu'il gratte les plombs et gouttières, qu'il a des chats qui se livrent à un vacarme nocturne… Pour peu que le beau-père, dans son étude de moeurs avant mariage, la questionne et le locataire est fichu !



De manière générale, comme les portières prétendent toujours qu'elles ont eu des malheurs dans la vie et qu'elles ne sont pas nées pour servir, qu'une grande noblesse se dissimule derrière leur misérable position, il s'ensuit qu'elles ne vous servent pas du tout.



Le peu de fois où elle justifie sa position, cela ne se fait rarement sans « contributions indirectes ». Un impôt à part entière qui s'ajoute au loyer, l'augmentant d'un quart environ. Une voiture de transport décharge des bûches ? La portière s'octroie, droit de passage oblige, une bûche parmi celles livrées. Agissant de concert avec les domestiques de tout l'immeuble, chaque fois que l'une d'entre elles descend à la cave pour y récupérer des bûches ou du vin : même taxation. Il lui faut encore s'éclairer à la bougie aux frais des occupants ; percevoir une commission sur les ports de lettres et amasser des étrennes le 1er janvier, seul jour de l'année où elle sera souriante et serviable.



Les propriétaires malins délèguent la gestion des baux à la portière, avec gratification dès qu'un bail est signé. Ainsi stimulée, jamais les logements se trouvent inoccupés bien longtemps, car elle a, lors des visites, une adresse phénomène de persuasion : « Triste, Monsieur ? Il n'y a rien de gai comme ça… C'est parce qu'il n'y a pas de meubles (…) Sombre ? le temps est si noir aujourd'hui, c'est pas étonnant, c'est plutôt trop clair (…) Pas d'armoire ? Un porte-manteau vaut bien mieux… Les habits se chiffonnent dans une armoire (…) »



Elle a sans cesse autour d'elle une cacophonie de chats, chiens, de coqs, de serins, de perroquets sans domicile, au détriment du repos des occupants. Mais parmi ces êtres vivants, sa plus forte attache est sa fille en qui elle fonde tous ses espoirs de revanche sociale.

Naturellement, elle est tout aussi insupportable que la mère : « et il serait difficile qu'il en fût autrement, d'après la façon dont elle a été éduquée. Dès qu'elle est en âge de comprendre quelque chose, sa mère sème dans sa jeune tête des idées d'orgueil et de grandeur, au milieu desquelles éclatent des paroles de regret et d'humiliation sur l'état auquel les évènements ont réduit la pauvre femme. La petite Paméla grandit ainsi avec la conviction qu'elle n'est pas à sa place, et que tôt ou tard elle retrouvera le niveau qui doit être le sien »

Faire de leur fille une actrice ou une chanteuse est l'unique ambition qui obsède les portières. Si sa fille a le moindre succès, même minime, la portière le clamera à toutes les conversations : « Figurez-vous, ma brave dame, qu'elles sont toutes jalouses d'elle ! ».

Elevée comme une petite sotte de chipie, la fille n'aura aucune gratitude en retour : « Paméla aime sa mère, elle l'aime même beaucoup, par égoïsme, comme on aime un être dévoué auquel on peut imposer tous ses caprices ; mais elle la respecte fort peu. Elle ne néglige aucune occasion de l'envoyer promener (…) « Qu'est-ce que tu me chantes ? … tu ne sais ce que tu dis ! »

Au jour de la première représentation de sa fille à un théâtre ou opéra quelconque, la portière en sera follement obnubilée :« Elle voit sa fille couronnée, portée en triomphe, "apothéosée", et ne descendant de son nuage que pour tomber dans une voiture à quatre chevaux, à côté de quelque duc et pair qui aura sollicité sa main »

Elle partage à voix haute et criarde son extase, ce qui exaspère les autres spectateurs et les réprimande sévèrement s'ils ne sont pas assez enthousiastes : « Eh bien ! Ils ne l'applaudissent pas ? Ah ça ! Qu'est-ce qu'ils ont donc, ces imbéciles-là ? »



Le vrai succès viendra plutôt d'un galant protecteur qui offrira à sa fille tout le luxe et le confort qu'elle mérite. Vivant par procuration, la portière est comblée ! - « La voilà enfin dans la position pour laquelle elle était née : libre, indépendante, maîtresse de son temps, de ses actions » Ah douce illusion !… « La pauvre femme ne s'aperçoit pas qu'elle n'a fait que changer d'esclavage » elle restera, quoi qu'il en soit, qu'une portière aux yeux de sa fille !



Une des physiologies les plus délicieusement cruelles !
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