Avec ce pont de mots on franchit Lille-sud là où grattent les immeubles pour tenter de percer un peu de ciel. Il y a le chômage, le commissariat, la violence...
et il y a les grues, grands jouets de profiteurs immobiliers, qui tentent de raser la misère, en mettant des cubes de lumière ici ou là, sans écouter ce qu'elle a construit au fil des générations, sans en connaître sa couleur, sans lui redonner sa présence.
Elle n'est pas que grise cette misère. Elle est faite de larmes et de soleil, d'arcs-en ciel au pied de l'immeuble, d'espoir, de mémoire.
Ce petit recueil c'est l'Histoire qui s'emmêle à la poésie, une poésie industrielle, rude, anguleuse, grise. Les mots des deux auteurs Jan Paremski, travailleur social, et Bonaventure Rosa, professeur d'histoire et géographie, sont tissés au fil barbelé de la mémoire des habitants de Lille-sud. On entend leurs voix.
Chaque poème nous attend au coin d'une rue, d'une histoire, d'une trace, d'un graffiti, d'une blessure.
C'est beau comme ça :
Ici la mer n'est plus.
Et peut-être ne l'a-t-elle jamais été.
Ici pas de vagues sinon le feu
d'écumes résistantes en murmures
Ici la mer n'a pas déposé le sel sur la terre
elle y a mis du safran du cumin
et toutes ces rumeurs au lointain
Et la mer a laissé ces bateaux aux mains calleuses
ces immigrés intérieurs
où la vie laisse place au labeur
Parfois la mer les rappelle
avec ces marées d'espoirs originels
un trompe-l’œil pour qui rêve d'éternel
Je remercie la masse critique Babelio et les Éditions Les Étaques pour ce bain de mots.
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Les deux auteurs ont écouté les habitants de Lille-Sud, quartier séparé de la ville par le périphérique, pas banlieue ni ghetto, mais pas tout à fait dans Lille. « C'est une belle ironie / appeler grands ensembles / ces barres qui nous tiennent / si isolés et si petits. » (p. 29) Le béton a remplacé la brique, la pauvreté qui confine à l'indigence a changé de couleur. Et pour les Lillois du Sud, vivre d'expédients ou de trafics illégaux est hélas le lot quotidien. À la dureté de la vie s'ajoutent les violences policières et la misère sociale qui, parfois, trop souvent, tuent. La réécriture amère et ironique du Temps des cerises chante l'impuissance, la colère et la lassitude de ceux qui sont relégués dans des tours laides. « J'ai grandi dans une nature d'architecture ornée d'arbres d'acier aux lumières sales, une immensité en désespoirs de hauteur, un horizon troué par un beffroi lointain. » (p. 11) Mais ce court ouvrage parle aussi de dignité et de courage : courage de partir, courage de rester. Avec les mots, les auteurs tissent des liens et donnent à tout un quartier ostracisé une voix puissante et mélodieuse.
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Quand un travailleur social et un professeur d’histoire géographie decident de mettre des mots sur les maux des habitants du plus gros ghetto social de Lille. Quand ils choisissent la poésie pour cela ... cela donne un recueil rude, cru, réaliste et piquant, mais poétique tout de même. Des textes qui pourraient être slamés, ou mis en musique. Des textes qui humanisent celles et ceux que l’on ne croise jamais ou rarement, virés des quartiers colorés et à taille humaine qui les ont vus naître pour être exilés, parqués dans de « grands ensembles » de l’autres côté du periph par des promoteurs immobiliers peu scrupuleux. Merci de leur donner de temps en temps la parole ... car il y a des milliers de cœurs qui battent dans ces grands ensembles, et qui ont à se battre bien plus que nous pour en sortir.
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