Janine Modlinger

Ce fascicule retrace dans une prose limpide et imaginative davantage qu'un chemin de vie : une façon de poétiser le monde, ce qui est le propre de cet art difficile et sculpté. Si l'alexandrin et les rimes, par obéissance à des lois inexorables et complexes, en arrive à absoudre l'utilisation de lieux communs et d'images banales, telles que les a recensées Flaubert dans son "dictionnaire des idées reçues" pour se plier à la discipline d'acier du genre, la poésie en prose ne tolère aucune faiblesse : pas de gras, pas de redites, pas de banalités. La liberté devient une terrible contrainte car elle ne souffre aucune médiocrité, aucune association convenue, telles que "gouffre noir", "fée aux yeux de velours", "austères études", "froids caveaux", "coeur qui palpite", ou "noir firmament".



J'ai pris ces exemples chez un poète illustre qu'on ne peut dénigrer ouvertement sans encourir les foudres de ses nombreux adorateurs et de l'académie et qui depuis longtemps m'exaspère tant dans son oeuvre la forme, la métrique et les "mathématiques" ont pris le pas sur le reste. Lâchement donc je tairai son nom...



Rien de tel ici. Pourtant les vies évoquées n'ont rien d'exceptionnel : des grands-parents russes ont dû s'exiler à Genève à cause de l'antisémitisme du début du vingtième siècle ; la mère de l'auteure, figure douce et lumineuse, est emportée trop tôt par la maladie et sa fille en porte le deuil très longtemps, jusqu'à ce qu'elle renaisse à la vie en rencontrant l'amour.



Rien de formidablement original, on le voit. Mais qu'a-t-on à faire de l'originalité ? Ce qui nous rend uniques c'est le regard et l'écriture et la transmission.



Et là c'est réussi.



La poésie est incluse dans la réalité en même temps qu'elle la dépasse et la transcende. Elle repose dans le coeur des choses, prête à s'en échapper et à les auréoler.