Jean-Amédée de Boigne

Quittant Narbonne avec ses écuyers et les cinq destriers que le Roi lui avait donnés, il s’était dirigé vers la montagne d’Alaric, dont il ignorait encore le nom. C’est là qu’il avait rencontré la vieille édentée qui lui avait parlé des puniques, alors qu’il se rafraichissait dans le calme d’une source. Selon les dires de cette femme, qui à vrai dire semblait sur le point de sombrer dans la folie tant le son de sa voix était criard, les grands rois Wisigoths étaient de descendance Carthaginoise. L’énormité de ces dires le fit d’abord sourire. Mais, alors qu’il remontait le cours de l’Aude non loin de l’antique capitale Razes, des pensées confuses le tenaillaient.
L’armée d’Hannibal Barca était peut-être passée en ces lieux, naguère.
Les Wisigoths s’y étaient installés à leur retour d’Italie, avec les trésors amassés lors du sac de Rome. Le parcours qu’ils avaient suivi était bel et bien celui qu’avait pris Hannibal lui-même, à rebours. A la mort d’Alaric, ils s’étaient en effet détournés de leur objectif initial : la région même de l’ancienne Carthage détruite, sur la côte Africaine

Ibn Shaprut préside l’assemblée. Le calife de Cordoue n’a pas fait le voyage de Gades.
Gades, vieux port Carthaginois de l’extrême Sud-Ouest de l’Espagne, devenu Romain et aujourd’hui Maure, est un monde à part. Une porte restée ouverte sur l’Afrique depuis des siècles. Presqu’ile jetée dans l’Océan Atlantique, son horizon infini est un appel au large.
Solal a insisté pour que son retour en Septimanie commence ici.

A cette heure avancée, les tambours et les flutes battaient la chamade. Les hommes avaient rejoint les danseuses au centre de la pièce. La chaleur s’ajoutait à l’entêtante mélopée des déserts et les claquements de mains venus des attroupements autour des filles virevoltantes achevaient de donner un caractère hypnotique a la scène. Solal se tourna vers Hasdai.
- « Tu sais cousin, je m’en vais sur la trace d’un peuple du Levant, exilé en Gaule il y a bien longtemps. »
- « Tu crois vraiment à cette histoire ? Ne dit-on pas que ce sont des boniments ? »
- « C’est possible, oui. Mais tout de même, les coïncidences sont surprenantes. Je dois en avoir le coeur net. »

Le cri de guerre se répandit en un instant sur toute la flotte, comme une flamme qui prendrait dans le coeur même des hommes. Les trentes vaisseaux de la flotte de guerre du caliphe Fatimide retentirent de cette harangue bigarrée, poussée d’abord par les hommes du Nord, mais reprise en une constellation d’idiomes de la rive Sud de la Méditerranée. Yaakov monta sur le château de son navire amiral, levant le poing vers le ciel, quand soudain un faucon fondit sur lui et se posa en un éclair sur le gant de cuir.
Le silence se fit. Les ancres furent jetées.