Ballade
Quand j’ois parler d’un prince et de sa cour,
Et qu’on me dit : Fréquentez-y, beau sire,
Lors je réponds : Mon argent est trop court,
J’y dépendrais, sans cause, miel et cire :
Et qui de cour la hantise désire,
Il n’est qu’un fol, et fût-ce Parceval ;
Car on se voit souvent, dont j’ai grand ire,
Très bien monté, puis soudain sans cheval.
Averti suis que tout bien y accourt,
Et que d’argent on y trouve à suffire ;
Mais je sais bien qu’il déflue et décourt,
Comme argent vif sur pierre de porphyre.
Argent ne craint son maître déconfire,
Mais s’éjouit d’aller par mont et val,
En le rendant, pour en deuil le confire,
Très bien monté, puis soudain sans cheval.
Celui qui a l’entendement trop lourd
N’y réussit, fors à souffrir martyre,
Et qui l’esprit a trop gai, prompt et gourd,
Il perd son temps ; malheur à lui se tire.
Esprit moyen, chevance* à lui retire :
Mais le danger est de ruer aval ;
Car la cour rend le mignon qu’elle attire
Très bien monté, puis soudain sans cheval.
ENVOI
Prince, vrai est, on ne m’en peut dédire,
Que la cour sert ses gens de bien et mal,
Et qu’elle rend l’homme, sans contredire,
Très bien monté, puis soudain sans cheval.
* fortune
Quand il lui plaît, Fortune fait avoir
Gloire et honneur, richesses et avoir,
Et quelques-uns met au haut de sa roue,
Lesquels soudain fait descendre en la boue,
Tant qu’ils en sont pitoyables à voir.
De patience il se convient pourvoir,
Quand résister on veut à son pouvoir ;
Car elle rit, puis soudain fait la mine,
Quand il lui plaît.
Elle ne peut les humains décevoir
Qui ont le sens rassis et bon savoir ;
Car aucun d’eux de ses biens ne se loue,
Bien avertis que la dame s’en joue,
En les baillant, pour après les ravoir,
Quand il lui plaît.