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Citation de enkidu_


Le soleil décline dans le ciel circulaire ; l’ombre immense du plateau s’avance et engloutit la moitié du cirque. De l’autre côté, sur la crête du flanc éclairé, une bergerie en pleine lumière ouvre sur le vide une bouche et des orbites noires comme celles d’un crâne, ajoutant à cette solitude une attente mystérieuse. C’est l’heure où des millions d’insectes à contre-jour s’argentent dans l’atmosphère immobile.

A ce moment-là, on ne peut songer sans une pointe de nostalgie au cœur à tout ce qui se passe derrière ces montagnes – même et surtout si on ne le sait que par oui-dire ; à ce monde fascinant et tumultueux de trottoirs et d’usines, de cinémas et de cafés, de foule jetée vers un avenir sans cesse renouvelé ; à la douceur de vivre et de se laisser vivre dans des collines couvertes de jardins maritimes ; aux soirées qu’on prétend qu’y prolonge l’été, pleines d’arômes et de nonchalances. Tout cela est si loin, si différent de ce que le silence et la solitude de ces hautes terres primitives mettent continuellement sous les yeux…

De longs jours vides, des pentes désertiques, un continuel tête-à-tête avec un monde abandonné à sa torpeur géologique, et dont ce pourrait être aussi bien le commencement que la fin : cette terrible inertie est communicative. Quand on promène son regard dans toutes les directions sans rien rencontrer d’autre à perte de vue que ce moutonnement hersé par une poigne aveugle, il n’est pas nécessaire d’être grand philosophe pour s’interroger sur l’existence et ressentir son ambiguïté devant cette immensité morte ; on n’a d’autre ressource que de se replier sur soi-même et de faire le mort à son tour ; on sait qu’il est inutile d’en rajouter pour vivre, ou de faire des phrases : on est là, autant continuer, mais sans essayer de prendre des vessies pour des lanternes. Trois mille ans de tergiversations n’ont servi strictement à rien, qu’à embrouiller les choses ; la situation n’a pas évolué d’un pouce sur l’essentiel. La seule question vraiment sérieuse est précisément la seule qui soit restée sans réponse : par conséquent, elle reste posée (quand elle l’est) à son niveau absolu, c’est-à-dire le plus bas, le seul qui compte : question de vie ou de mort. Ces solitaires (n’oublions pas qu’ils sont les héritiers de ceux qui ont tutoyé Dieu comme on Le tutoie dans l’Ancien Testament : pour lui arracher de gré ou de force une réponse) sont l’innocence même : ils n’acceptent que des arguments qui soient incontestables ; les finesses de la Sorbonne ne sont que des grimaces de clown (ou une manière de jouir, de tuer son lièvre et de s’affirmer qui en vaut une autre) et elles n’amènent ici qu’un haussement d’épaules.
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