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Citation de Livretoi


Rémi CHAPOTOT : Ecrivain

* Le caractère de Chapotot était semblable à un insecte dont on pense, en 1’observant, qu’il est si démuni, si peu armé, si exposé à une infinité de dangers qu’il ne durera guère, et qui parvient, grâce à de secrètes défenses, telles que la vélocité ou le mimétisme, à survivre très longtemps. Qu’est-ce qui, dans Remi Chapotot, faisait que, de chaque aventure qu’il avait, et dont certaines pouvaient être très dommageables pour sa liberté, il se tirait indemne ? Disons que c’était une légèreté intrinsèque, - presque métaphysique, qui était sa nature même, comme il est de la nature du liège de flotter à la surface de l’eau et non de s’enfoncer. Chapotot flottait à la surface de la vie.
Jacky Lataste fut la première femme que connut Chapotot à ne pas avoir l’intuition qu’il était fait de liège. Il lui parut beaucoup plus consistant, pesant plus lourd sur la terre, que la plupart des gens qu’elle connaissait.

* Vers sa trente-cinquième année, Chapotot fit une infidélité à Zola et ne s’en trouva pas bien. A force d’entendre parler de Céline, il eut la funeste idée de lire le Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, qui contaminèrent son style comme une attaque de fièvre typhoïde ou plutôt qui le jetèrent dans un accès de folie qui heureusement n’excéda pas deux cent quarante pages. II écrivit un livre tout en phrases hachées et en points de suspension, avec des halètements et des gros mots. Cela l’amusa, au début, et il se demanda sérieusement s’il avait trouvé la voie. Mais il était bel et bien marié à Zola : cette expérience célinienne lui laissa des remords comme s’il avait commis un adultère. Pourtant les critiques l’encensèrent, et parlèrent de « mutation », d’ « approfondissement », de « gravité nouvelle », d’ « autre dimension », ce qui, venant d’eux, est toujours très flatteur. Enfin, on le loua d’avoir inventé un « nouveau langage », encore que ce « nouveau langage » fût vieux d’une trentaine d’années pour le moins. Le public, qui connaissait déjà Chapotot et achetait fidèlement sa production, ne suivit pas les critiques.

Jacky LATASTE : Esthéticienne amoureuse de Chapotot

* Les gens étaient des puzzles, qu’on ajustait au fur et à mesure des mois et qu’on terminait rarement, soit parce que la vie vous appelait ailleurs, soit parce que le jeu, à trop traîner, devenait ennuyeux et qu’on n’avait plus la curiosité de savoir ce que représentait la vignette. Avec Remi, Jacky était certaine de terminer le puzzle, tout au moins s’il lui en laissait le temps, s’il ne la « larguait » pas d’ici à ce qu’elle eût placé le dernier morceau de bois colorié et qu’elle eut devant les yeux le portrait complet de l’écrivain qu’elle admirait et de l’homme qu’elle aimait.

* Cet amour donnait à Jacky simultanément de l’appréhension et de la confiance. A cause de lui, elle craignait sans cesse de n’être pour Chapotot qu’une fantaisie, une aventure éphémère, mais, par le même mouvement, elle se sentait assez d’énergie pour « défendre son bonheur », cliché qui métamorphose les femmes en bêtes féroces… Sans que nul le lui eût enseigné, elle savait que peu d’hommes sont capables de résister à une femme qui les a distingués. Il y faut beaucoup de force d’âme ou beaucoup d’inconsistance. Or elle n’avait reconnu ni de l’une ni de l’autre chez Remi. Peut-être avait-il du génie quand il écrivait des livres, mais pour ce qui est de la vie courante, il était tout à fait « moyen », elle en était certaine.

Blanche PETITDIDIER : Assistante de Chapotot

* Quand personne ne la dérangeait- elle expédiait le travail à toute allure. Parfois, après avoir classé, recopié, contrôlé, vérifié, et qu’il ne restait décidément plus rien à faire, elle se résignait à s’en aller à son tour, mais ce n’était pas sans tiraillements ni scrupules de conscience. Ne pas demeurer jusqu’à sept heures du soir assise à sa machine ou toupillant dans le bureau était pis qu’une malhonnêteté à ses Yeux : c’était une désertion. On la payait pour un certain nombre d’heures de travail par semaine, on comptait sur elle pour veiller sur des papiers extrêmement précieux et pour répondre au téléphone ; elle avait l’obligation morale d’être là. Que dirait-elle à M. Chapotot si la maison était la proie d’un incendie et qu’elle et qu’elle n’avait pas sauvé le roman en cours parce qu’elle avait jugé bon de s’en aller à six heures vingt ? Cette perspective la faisait frissonner d’horreur. Quatre mois de labeur, quatre mois de génie transformés en cendres pour la raison que Blanche Petitdidier s’ennuyait à ne rien faire ! Cela valait la cour martiale, la dégradation, le peloton ! Aussi ne partait-elle qu’à la dernière minute, lorsque toutes les pendules avaient sonné sept coups, et après s’être rendue à la cuisine pour constater que le gaz était bien fermé.

Eric CARLOMAN : Jeune homme amoureux de Jacky

* Qu’il était donc dommage qu’Eric dût repartir pour Bordeaux, avec toutes ces initiations que Paris lui réservait ! Il en eut une seconde de désespoir, comme un homme qui se serait éclairé toute sa vie à la chandelle et à qui on aurait fait découvrir la lumière électrique, puis qu’on aurait impitoyablement renvoyé à ses lumignons archaïques, dont il s’accommodait auparavant comme d’une donnée inévitable du monde, mais qu’il ne peut plus supporter à présent.

Gérard ASCONA : Editeur de Chapotot

* De son côté Ascona éprouvait une véritable amitié pour Chapotot, de qui le caractère heureux, la régularité dans la production littéraire, la docilité avec laquelle il écoutait les avis qu’on lui donnait le changeaient de ses autres auteurs, notamment des auteurs de talent, avec qui on n’était jamais sûr de rien, qui étaient ombrageux, pour ne pas dire grossiers, traîtres, lâches, qui signaient subrepticement des contrats avec des maisons concurrentes, qui vous faisaient chanter dès qu’ils avaient le moindre succès. Chapotot, lui, était trop sérieux dans son travail
pour n’être pas loyal dans les rapports d’affaires. Et quelle rafraîchissante modestie ! Voilà quelqu’un qui ne se croyait pas sorti de la cuisse de Jupiter pour la seule raison qu’il écrivait des livres ; au milieu de tous les carnassiers de la littérature parisienne qui considèrent l’éditeur comme leur ennemi naturel et ne cherchent qu’à lui soutirer de l’argent, il était une bien reposante exception ;

Marie-Ange ASCONA : Epouse de l’éditeur

* Marie-Ange, qui avait de l’usage, c’est-à-dire l’art de minimiser les choses qui risquaient de l’embarrasser, retira doucement sa main de celle d’Éric, qui ne la retint pas, et fit exactement le sourire gracieux d’une femme recevant un hommage sans importance. Éric ne s’y trompa point et, quoiqu’il ne s’attendît à rien d’autre, en ressentit une légère déception. « Vous êtes un vrai trésor, dit Marie-Ange. J’ai passé un moment grisant sur ce canapé où se sont posées certainement les fesses de la princesse Mathilde, ce qui est assez intimidant, quand on y pense. Je serais bien restée encore un mois ou deux mais il faut que je retourne faire le cheval de cirque : c’est pour cela qu’on me paie. Ascona doit me chercher partout ; je ne tiens pas à m’écrier : Ciel, mon mari ! s’il se dresse tout à coup devant nous, ce qui serait assez son genre. Il prétend que je suis comme les enfants qui disparaissent à la seconde où on oublie de les surveiller, et qu’il passe sa vie à courir après moi.

Adélaïde DE LA BIGNE : Vieille aristocrate mondaine qui tient salon

* Adélaïde, dont la vue ne semblait jamais s’attarder sur rien et qui tournait la tête sans arrêt comme une huppe ou une autruche, capta cette lumière clignotante et indécise sur le visage de son invité, et elle lui plut... Ses mouvements de tête incessants à droite et à gauche… ces saccades qui se succédaient toutes les demi-minutes lui firent songer au périscope d’un sous-marin : Adélaïde surveillait avec vigilance la flottille des navires humains qui cabotaient, s’accostaient, échangeaient des signaux, se tiraient des coups de semonce, faisaient escale au buffet, dans les remous d’une mer dont elle était l’Amphitrite. Cette comparaison parut à Eric d’une poésie telle qu’il lui fallut de l’héroïsme pour résister à la tentation d’en faire part à son interlocutrice, laquelle ne l’eût sans doute pas appréciée, attendu qu’un croquis, une caricature, attrapé à la volée est d’autant moins agréable qu’il est ressemblant, quelque intelligent et bien disposé que soit le modèle. C’est d’ailleurs naturel : nous ne parvenons pas à imaginer que les autres, à l’extérieur, nous voient avec le coup d’œil objectif, donc implacable, que nous avons nous-mêmes en les regardant, et lorsque nous en avons inopinément la révélation, nous sommes irrités ou chagrinés. Éric, qui était proche de l’enfance et qui, malgré la décision qu’il avait prise de ne plus faire d’études bourgeoises, n’avait pas encore perdu l’habitude déconsidérer la vie comme une suite d’examens, se disait qu’il était en train d’en passer un, essentiel, auquel rien ne l’avait préparé, et qu’il devait à tout prix « faire un sans faute ». L’examinateur parlant sans arrêt, ce n’était pas, à première vue, trop difficile, cependant son expérience dans ce domaine lui avait appris que les examinateurs bavards, qui vous laissent à peine placer un mot par-ci, par-là, ne sont pas les moins traîtres : de temps à autre, ils s’arrêtent, vous posent une question comme on vous pose un poignard sur la gorge, et si l’on n’a pas la réponse immédiate, on se retrouve par terre, baignant dans son sang, c’est-à-dire recalé. Mme la comtesse de La Bigne appartenait à cette
catégorie de sadiques bienveillants ; périodiquement, entre deux inspections périscopiques, elle demandait par exemple quels rapports pouvaient bien exister entre un garçon comme Carloman et le petit père Chapotot, et c’était là un piège, un traquenard, une chausse-trappe dans quoi il fallait d’autant plus se garder de tomber qu’on était terriblement en confianc
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