
"Le Plumier d'or"
..... Jadis on n'entendait dans les rues que le pas des piétons et des
chevaux ou les disputes des ivrognes. Cela devait être exquis.
D'ailleurs les vieilles filles ne cessaient d'épier la rue derrière leur
rideau, ce qu'elles ne font plus de nos jours, et pour cause : il n'y a plus rien à voir que des bagnoles qui roulent. De même les guerres avaient quelque chose d'écologique, avant l'invention de la poudre.
On n'entendait que les cris de Peaux-Rouges des guerriers, le
cliquetis des rapières, les sonneries de trompettes, le roulement des
tambours. Ah ! les belles guerres silencieuses, humaines oserai-je dire ! Et assez économiques, à ce qu'il semble. Elles faisaient beaucoup moins de victimes que nos guerres actuelles, mondiales et autres, où les bombes démolissent tout, peuples et pays.
Bref, mes enfants, il faut en prendre votre parti : le silence n'existe plus. C'est une pièce de musée. Ou alors il faut faire comme Alceste : aller se réfugier dans un désert. Et encore : on risque d'y rencontrer un Bédouin muni d'un transistor.
Jean Dutourt
Texte en entier
Invités à l'Hôtel de Ville de Paris, le 5 mai, pour la remise des prix de notre concours de langue française, "Le Plumier d'or" (cf. DLF 192, p. XI), les lauréats ont eu la joie d'entendre notre président traiter à son tour le sujet de rédaction de la finale :
Le silence est-il pour vous un ennui, un besoin, une angoisse, un bonheur ?
Mesdemoiselles, Messieurs, ou plutôt mes chers enfants, vous vous êtes donné un tintouin du diable pour traiter un sujet très difficile, quasiment un problème philosophique. Il m'a semblé que la moindre des choses que je pouvais faire pour vous féliciter de votre bravoure était de le traiter à mon tour . Ou sinon de le traiter d'essayer de l'éclairer par un ou deux côtés auxquels vous n'aviez peut-être pas songé.
Le prix du silence en tant que rareté ou denrée de luxe est une notion toute récente. Elle n'a pas un siècle d'âge. Avant cela le silence était naturel à l'homme. Il ne coûtait rien, on vivait dans le silence sans y faire attention comme le Bourgeois gentilhomme parlait en prose. Dès que l'on ne faisait plus la conversation avec ses amis ou ses proches, le silence était là. On n'avait que trop de silence. Car c'en était bel et bien, même s'il était tout plein de petits bruits : tic-tac d'une horloge, pétillement d'un feu de bois, bourdonnement d'une mouche, craquement d'un vieux meuble, cri d'un chien dans le lointain, etc.
Aujourd'hui c'est tout le contraire, il n'y a plus de silence nulle part. Le solitaire qui rentre chez lui s'empresse d'allumer la radio ou la télé qui lui rabâchent une foule de sottises et qui apprennent au pauvre peuple à mal parler .
Le silence est un produit de la société industrielle et scientifique dans laquelle nous sommes entrés depuis cinquante ans. Le progrès technique se manifeste par un bruit incessant. Et non pas n'importe quel bruit, hélas ! Mais un vilain bruit discordant, assourdissant, écœurant, exténuant. Le mot de pollution, si à la mode, est tout à fait de mise ici : nos oreilles sont polluées par le bruit moderne, comme nos poumons par les gaz d'échappement des voitures.
Jadis on n'entendait dans les rues que le pas des piétons et des chevaux ou les disputes des ivrognes. Cela devait être exquis. D'ailleurs les vieilles filles ne cessaient d'épier la rue derrière leur rideau, ce qu'elles ne font plus de nos jours, et pour cause : il n'y a plus rien à voir que des bagnoles qui roulent. De même les guerres avaient quelque chose d'écologique, avant l'invention de la poudre. On n'entendait que les cris de Peaux-Rouges des guerriers, le cliquetis des rapières, les sonneries de trompettes, le roulement des tambours.
Ah ! les belles guerres silencieuses, humaines oserai-je dire ! Et assez économiques, à ce qu'il semble. Elles faisaient beaucoup moins de victimes que nos guerres actuelles, mondiales et autres, où les bombes démolissent tout, peuples et pays.
Bref, mes enfants, il faut en prendre votre parti : le silence n'existe plus. C'est une pièce de musée. Ou alors il faut faire comme Alceste : aller se réfugier dans un désert. Et encore : on risque d'y rencontrer un Bédouin muni d'un transistor.
Jean Dutourt
http://www.langue-francaise.org/dlf193.PDF
Mourir, pour un jeune homme, c'est lui voler son avenir; pour un vieillard, lui voler son passé.
On n'a jamais le dernier mot avec les personnes de mauvaise foi !
Un authentique chagrin d'amour enferme en lui-même celui qui l'éprouve ; c'est comme une seconde cristallisation, plus solide que la première, et plus durable car, dans ce domaine, contrairement au proverbe, les absents ont toujours raison. L'être aimé vous eût-il dit adieu à jamais, vous eût-il accablé des plus grandes cruautés, on ne parvient pas à lui être infidèle, on est d'autant plus enchaîné charnellement à lui qu'il est invisible.
La plupart des gens traversent la vie avec pour tout bagage une centaine de proverbes. Ils se feraient couper en morceaux plutôt que de l'avouer, ils n'en sont même pas toujours conscients ; mais ces cent proverbes leur permettent de tenir soixante ou quatre-vingts ans sans catastrophe majeure, tout aussi bien que s'ils se réglaient sur les principes de Kant ou de Platon.
Il y a des degrés dans la gloire posthume. Avoir sa rue n’est pas si mal, mais galvaudé. Paris est plein d’inconnus.
Quoiqu'elle fît ,Julie Poissonard fleurait toujours le Brie-Coulommiers :elle était crémière .Au grand soleil de juin 1940 ,sur la route de Bordeaux où le Gouvernement l'avait précédée ,un homme qu'elle recueillit dans sa camionnette, lui dit : Tu sens le fromage,ma petite mère .Si t'es pas crémière ,moi je suis le pape .Cet homme portait l' uniforme des zouaves et buvait du vin rouge sans offrir à personne . Julie Poissonard pensa : Le monde est mauvais .
Le monde, désormais, comptait deux catégories d'êtres : ceux qui se débrouillaient, et les autres. Les Poissonard, éminents représentants de la première catégorie, se sentaient très forts. Ils avaient trouvé le moyen d'être systématiquement malhonnêtes, ce rêve des honnêtes gens, et n'en éprouvaient pas de honte.
La loyauté et la confiance ne sont jamais plus grandes ni plus éclatantes que lorsque aucune loi ne les sanctionne.
J'aime recevoir des lettres anonymes parce que je n'ai pas à répondre.