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Citation de Charybde2


Il a eu tort, en se levant, de regarder le portrait de Marianne. A tous les coups, ça le démolit. Il sait bien que ce baiser à la sauvette, si passionné qu’il ait pu être, ne représentait rien pour elle. Il lui fournissait sa dope, comment aurait-il pu prétendre la sauver ?
À Paris, tous lui couraient après, comme on court après n’importe quelle fille belle et célèbre. La première fois qu’il l’a vue, chez cet acteur, Hennepin, il ignorait qui elle était. Elle dit avoir découvert la cocaïne ce soir-là, mais peut-on croire une droguée ? Elle consommait avec beaucoup d’entrain, pour une débutante.

Que fait-elle, à la minute présente ? Elle s’amuse dans une riche demeure de Londres ou de ses environs, avec sa bande habituelle de copains, beaux, célèbres et défoncés eux aussi. S’il partait à Londres, il n’aurait aucune peine à la retrouver. Mais après ? Cette question le ronge, lui râpe les nerfs depuis un an. Il n’en sort pas.

Chez Lido Musique, du côté pair des Champs-Élysées, ils sont à la pointe, ils importent des tas de disques anglais. Le jour où elle enregistrera quelque chose de nouveau, ils seront les premiers informés. Rien de neuf non plus au cinéma. Chaque semaine il épluche L’Officiel des spectacles, le nom de Marianne n’apparaît nulle part. Skip se demande s’il le désire vraiment. Ne serait-il pas encore plus cruel d’avoir de ses nouvelles par un film ou une chanson ?

Pour échapper à cette torture, un seul remède : marcher inlassablement sur son avenue préférée, l’œil sur les sacs à main, les vestes, les poches, les fermoirs, les lanières, les boutons. Il évite de croiser les regards. La plupart de ses victimes, Skip serait incapable de décrire leur visage, il espère que la réciproque est vraie.
Les deux d’hier, côté impair, à leur façon de se mouvoir, ne donnaient pas l’impression de former un couple. Un bon professionnel ressent cela, il n’a pas le temps d’analyser.
La femme paraissait grande. Elle portait des souliers plats, à bride. Le pantalon de toile fine, gris perle, découvrait sa cheville sur une dizaine de centimètres. Le chemisier était peut-être blanc, il n’en jurerait pas. Le sac finement tressé, lanières passées sur l’épaule droite, était plaqué sous son aisselle. Le type qui l’accompagnait avait tout d’un grand bourgeois.
Skip n’a fait que toucher son poignet, en serrant assez fort pour faciliter l’écartement des doigts. C’est stupide, à la faveur de ce contact l’homme lui a paru sympathique.

L’élan du cœur, il l’éprouve envers toutes ses victimes. Le volé, dans la parfaite inconscience de ce qui lui arrive, contribue à la fluidité de l’acte. Son bien se dématérialise. Il ne lui appartient plus, sans avoir encore rejoint la poche du voleur. Durant un bref instant la propriété est abolie.
Skip s’interroge. Est-il trop sentimental ?
Il aime le travail bien exécuté. Jusqu’à présent jamais d’anicroche, car il sélectionne ses proies en s’en tenant à des principes stricts. Il élimine : les maigres, les nerveux, les individus isolés et statiques. La liste serait longue. Si à l’ultime seconde un détail l’alarme, il stoppe son geste et passe son chemin. Comme dans beaucoup d’autres sports, le secret est de profiter des mouvements de l’adversaire.
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