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Citation de Charybde2


Après avoir quitté l’immeuble du boulevard Suchet, Katerine emprunte son itinéraire quotidien, d’un pas rapide. Certains jours elle traverse le jardin, d’autres fois elle le contourne. Aujourd’hui elle traverse. La première allée est déserte, un seul des bancs est occupé, par une adolescente à la frange trop longue qui la regarde avancer, par en dessous.
Plus loin, elle coupe la place de Passy, enfile la rue de l’Annonciation, elle y est presque.
Personne ne sait qu’elle vient se réfugier le matin dans ce bar, pour lire, une habitude récente. Elle s’installe à la table d’angle, attend que le serveur ait apporté son eau minérale. À cette heure les clients sont peu nombreux, les conversations rares et brèves font un agréable bruit de fond. Katerine entend, sans vraiment entendre, le bourdonnement intermittent du percolateur et les cliquetis de la caisse enregistreuse. Ça ne la gêne pas, au contraire, elle aime bien, alors qu’à la maison tout la dérange, le plus petit désordre sonore.

En femme soigneuse, Katerine a placé un marque-page à l’endroit où elle a interrompu hier sa lecture. Elle reprend : (…)

C’est déjà la page 109 mais Katerine ignore toujours ce qu’elle pense de ce roman. Elle le lit parce que Grégoire l’a lu. Ses impressions personnelles comptent moins que sa volonté de comprendre quel plaisir il a pu y trouver. Il n’est pas le seul, un couple de leurs amis en dit du bien également.
La réputation littéraire de l’ouvrage n’explique pas tout.
Sans cette réputation flatteuse, les gens de leur milieu ne s’attarderaient pas à pareilles cochonneries et Grégoire n’aurait pas osé lui en conseiller la lecture. Non, elle n’est pas dupe : il doit y avoir autre chose, une raison plus profonde, qu’elle veut découvrir. Maintenant qu’elle a commencé, elle ira jusqu’au bout.
Pour l’instant, ça la laisse de glace.
Aussi obscures qu’elles soient, les intentions de l’héroïne lui paraissent moins incompréhensibles que celles de son amant, ce René. Peut-être parce qu’elle est elle-même une femme, et que le livre, si elle en croit la couverture, a été écrit par une femme. Il est troublant, songe-t-elle, qu’on ne sache jamais avec certitude si un roman est l’œuvre d’une femme ou d’un homme. Si elle apprenait qu’un homme en est l’auteur, son avis serait-il différent ? Grégoire et ces amis, les Dupuy-Marcellin, lui auraient-ils seulement prêté attention ? Raconté par une femme, c’est censé être plus excitant.

Grâce à cette lecture, Katerine espérait mieux connaître son mari. Elle devine, hélas, que ça va élargir entre eux le fossé. Le penchant de Grégoire pour certaines menues perversités lui est connu depuis longtemps, elle s’en accommode, se contente de poser des limites, qu’il respecte à peu près.
Elle s’en tient à des actes simples. Pourquoi changerait-elle, à trente-cinq ans ? Le mot « sexe », que Grégoire et quelques-unes de leurs relations emploient à tout bout de champ pour évoquer les choses de l’amour, lui est désagréable. Elle n’y voit qu’un nouveau conformisme, dans ces cercles de pouvoir où l’on se paie volontiers de mots pour avoir l’air affranchi. Quand ils font l’amour, Grégoire a des attitudes d’enfant, rien à voir avec l’image qu’il cherche à donner de lui en société.
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