Jean-Jacques Kissling

Dans une ville de Sibérie en plein hiver, une petite fille regarde par la fenêtre ses camarades jouer dans la neige. Elle est triste car sa mère qui travaille dix heures par jour n'arrive pas à lui acheter des habits chauds. C'est bientôt Noël, une lueur d'espoir traverse le regard de la petite fille. Elle prend son crayon, du papier, et de sa plus belle écriture elle rédige une lettre au Père Noël. Elle lui raconte son déraison et lui demande des habits d'hiver pour aller jouer dehors dans la neige avec ses copains et ses copines. La petite fille sort avec ses chaussures d'été et va glisser la missive dans la boîte aux lettres.
Le facteur trouve la lettre adressée au Père Noël, mais en réalité l'homme de lettres, qu'il soit sibérien, belge ou marocain, ne connaît pas son adresse. Alors le chef du bureau prend la décision d'ouvrir la lettre et de la lire à tous. Le personnel du bureau est touché par la demande et fait une collecte pour offrir à la petite fille des habits d'hivers pour qu'elle puisse enfin jouer avec ses amis dans la neige. Une factrice lui tricoteur beau bonnet en laine. On achète des gants, une écharpe et des chaussettes bien chaudes. Mais pas de bottes, car en Sibérie les chaussures sont hors de prix et la paye des facteurs toute petite !
On rajoute quelques cacahuètes et une mandarine, le facteur dépose le colis derrière la porte un soir quelques jours avant Noël. Et repart heureux dans son foyer. Au matin, la petite fille découvre le paquet et l'ouvre, elle y trouve le bonnet, les chaussettes, l'écharpe et les gants. Mais pas de bottes.
Elle prend son crayon et écrit au Père Noël :
Cher Père Noël, je te remercie pour ton cadeau, la mandarine était très bonne, le bonnet est très chaud, merci encore pour les habits, mais je n'ai pas trouvé les bottes, j'ai peur que ce soit le facteur qui les ait volées.

Il y a quarante ans, on postait le soir à Cornavin une lettre à un timbre à soixante centimes pour Coire, de l'autre côté du pays, et elle arrivait normalement le lendemain matin à destination. Aujourd'hui, on poste le soir à Cornavin une lettre avec un timbre à un franc pour Coire, et en principe elle arrive toujours le lendemain matin à destination. La différence, c'est qu'il y a quarante ans elle passait entre les mains de vingt travailleurs et voyageait en train électrique jusqu'à la capitale grisonne. C'était une lettre verte avant l'heure. En 2014, elle passe entre les mains de deux travailleurs, mais elle sera filmée et codée et transitera sur des kilomètres de tapis roulants, avant de voyager dans deux camions diesel au moins jusqu'à la capitale grisonne. Le facteur ne fait plus rien, c'est la machine qui pense pour lui.

"En prenant du courrier à droite et à gauche, en discutant par-ci par-là, c'est du temps que tu voles à La Poste. Ces minutes, tu les prends sur le travail des autres." Je réponds que si les vingt mille facteurs de Suisse buvaient trois cafés par jours, cela créerait au minimum vingt mille nouveaux emplois dans le pays.