Jean Lavigne

Aujourd'hui, quand je regarde la montagne, je n'ai plus le même enthousiasme, la même innocence et je me sens affecté plus profondément que je ne veux le croire. C'est un déchirement, entre l'angoisse de savoir, la culpabilité de ne rien faire , la déprime de continuer ou renoncer.
Mes moteurs intimes entrent en faillite et m'emportent aussi lentement que sûrement vers une sorte d'absence. Je m'accroche au noir des ombres, au flou des cadres, à la sinuosité des chemins. Mon langage s'installe dans les méandres des désastres annoncés. Une grande solitude l'accompagne.
Solastalgique, je vois la montagne se dessécher et s'assombrir, je la photographie comme je la ressens d'une âme triste. J'essaie de m'adapter, d'y trouver du beau. Si le désespoir s'installe dans nos vies, de quels paysages nous nourrirons-nous? Comnous y préparer?

J'habite près de l'océan. Le bruit sourd des vagues accompagne souvent mes insomnies. J'ai fait un rêve éveillé. La mer se déchaînait, prenait des allures de montagne. L'eau devenait glace, la glace devenait eau. Je ne savais plus si j'étais en présence d'une mer ou d'une montagne. L'horizon, d'habitude si plat, se mettait à onduler, prenant les formes d'un relief. Je me promenais sur le sable. J'agitais ma chambre photographique qui donnait du mouvement à la terre, à l'océan.
Quand les glaces des pôles auront fini de disparaitre, quels paysages accompagneront nos cauchemars?

La montagne accompagne ma vie depuis ma plus jeune enfance. Elle est constitutive de mon être, de mes pensées, de mes émotions, de mes rêves. Elle nourrit mes liens au réel et à l'imaginaire où que je sois, où que j'aille. Aujourd'hui elle me ressource et me donne l'énergie pour ne pas désespérer.

Solastalgie : nom féminin. Sentiment de désolation causé par la dévastation de son habitat et de son territoire. Douleur ou détresse causée par la perte ou l'absence de consolation. Il s'agit du mal du pays que vous éprouvez alors que vous êtes toujours chez vous.

Rétablir sens, contact et place dans un monde "entier" du vivant est indiscutablement ce qu'il faut réussir de toute urgence.