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Citation de Partemps


V

Quand nous faisons l’amour avec une femme que nous aimons, il nous arrive d’être poursuivis par une question insidieuse, si dérangeante que nous préférerions ne pas nous l’être posée : qu’est-ce qui peut nous donner à penser que nous l’aimons, elle, si rien ne distingue les plaisirs qu’elle nous donne de ceux que nous éprouvions quand nous étions avec des femmes qui nous plaisaient et parfois même avec des femmes qui, ne nous plaisant pas, n’en étaient pas moins à l’origine de plaisirs et de désirs qui nous surprenaient ? Devais-je penser, lorsque Marie et moi nous échangions des caresses et que nos mains et nos yeux s’arrêtaient sur ces parties du corps que nous avions cru, à l’époque des rendez-vous sans suite, nous être à jamais interdites ou dont nous avions craint après nos disputes être à jamais privés, que, tout à l’action sexuelle qui nous était prescrite, concentrés sur la sorte d’attention qu’elle réclamait, ou l’esprit occupé par les images, par les figures plutôt (les fantasmes ont en effet l’aspect attendu des figures de rhétorique) qui nous aidaient à poursuivre son incertaine et inévitable fin, nous avions si bien perdu l’amour que nous espérions au même moment mieux saisir, que l’aveu que nous en faisions, s’il nous arrivait de le prononcer ou de le recevoir, nous apparaissait déplacé et sonner comme une mauvaise réplique ? Et, en effet, quand nous faisons l’amour, si nous aimons, nous craignons toujours d’avoir perdu l’amour. J’en recherchais pourtant la preuve. J’aurais dû me dire que dans la mesure où je la recherchais elle m’était déjà donnée : je n’aurais pas eu l’idée de la rechercher si je n’avais déjà aimé Marie. Cette conscience de l’amour, j’essayais alors de la ranimer en m’efforçant, après avoir été trop près d’elle, de revoir son visage et de faire coïncider les sensations du plaisir et son image. Je me redressais, mais elle me ramenait contre elle. Et puis nous nous arrangions autrement, de telle sorte qu’elle était au-dessus de moi. Je pouvais ainsi ne plus la quitter des yeux ou alors, comme pour vérifier que c’était bien elle, que la réalité ne me trompait pas, je me tournais vers la bibliothèque toute proche, sur un rayon de laquelle j’avais posé une carte postale représentant une femme allongée, dont le corps était tout à fait semblable au sien et je me disais que le regard que je posais sur elle ne devait pas être très différent de celui du musicien qui, tout en continuant de jouer de l’épinette, s’était à demi tourné vers la blonde déesse souriante et nue. Et puis elle se laissait retomber sur moi. Elle avait besoin d’une pause ; elle reprenait souffle, retenant encore en elle le plaisir et, aspirant l’air, l’empêchant d’échapper. J’imagine que si j’avais continué à la caresser, à la serrer contre moi, elle aurait aussitôt replongé au sein de ce fleuve féminin qui la portait comme les filles du Rhin au gré de ses ondes. Je la laissais se reposer et j’en profitais pour me reposer aussi. Le repos n’était cependant qu’un prétexte. Je comprends maintenant que je ne voulais pas tant prolonger la durée de nos plaisirs que, de toute la matinée, faire une matinée consacrée à l’amour.
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