Comme tous les prisonniers, il comprit vite que l'ennui et le désœuvrement rendraient sa détention insupportable. Ne pouvant lire, ni écrire, ni écouter la radio, il n'avait plus conscience du temps passé à attendre, à marcher ou à rester allongé. Pour oublier la peur et le chagrin, il récitait un poème à voix basse, de crainte d'éveiller l'attention. Ou bien c'était une chanson, en français ou en anglais des USA, langues qu'il maîtrisait tout à fait. Quand il faisait les cent pas, mains dans les poches, il pensait aussi au collège, aux professeurs les plus estimés, et il parvenait même à sourire d'une anecdote qui lui revenait à l'esprit sans qu'il ne s'y attendît. Les copains, eux aussi, lui rappelaient de bons moments. Mais il ne cherchait plus à penser à ses parents, ni à son frère et à sa sœur, car leur seule image le faisait rapidement pleurer. Il s'en voulait beaucoup, s'accusait de froideur, d'indifférence, puis se reprenait en répétant que pour l'heure, il s'agissait avant tout de tenir, de vivre l'instant en attendant la suite des événements.
Il avait l'air triste de celui qui redoute les regards moqueurs de son entourage, et une grande mèche de cheveux châtains barrait son front et une joue, du côté droit, comme pour les dissimuler. En un mot, le nouveau n'avait rien pour plaire, bien que son visage ne fut pas désagréable. Qui plus est, on avait dû souvent le lui signifier, car il n'osait pas porter le regard plus loin que les pieds des premiers bureaux. Des filles et des garçons se faisaient signe, çà et là, pour manifester des réactions de dégoût, ou pour ricaner.
Ce n'était pourtant pas un mauvais élève et chaque jour de classe, il ne rechignait pas à prendre le bus entre son quartier et le collège Secondât de Montesquieu, un établissement privé sous contrat qui accueillait quelque trois cents adolescents. « Maths, interro, sûrement. La poisse ! Grammaire, ah ! Indépendantes, principales et subordonnées... On verra. Et cet aprèm, anglais, alors là, cool.
Tant que l'enquête n 'est pas terminée, on ne peut rien conclure. Il faut garder espoir. Je sais, tu trouves la formule banale, mais c 'est la vérité.
Parfois, ce qui devrait nous amuser peut nous attrister, et inversement.
« C'est dans la détente qu'on résout le mieux les problèmes. »