Jean Marc Benedetti vous lit un extrait de son livre
Les Équilibristes.
"Ça a commencé comme ça. Dans un train. Il rentrait d'un voyage au Rajasthan. Elle l'a appelé au téléphone. Elle a dit qu'il y avait une zone d'ombre entre eux. Il a ri. Ça c'était sûr. Il y avait toujours eu des zones d'ombre entre eux. Il l'entendait mal. Quoi ? Une ombre ? Où ça ? Répète. Quoi ? Où ? Ça a coupé. Puis la liaison est revenue. le wagon vibrait. L'espace exigu de la cabine téléphonique a soudain été envahi par la zone d'ombre."
C'est l'histoire d'un voyage en Inde, d'un chaos, d'une réconciliation tardive et salvatrice entre un homme et une femme que ce roman dit à deux voix. Aveux déchirants d'amour et de haine. Leur vie est un sport de combat, une mise en danger qui consiste à vivre à deux sur un fil. Ordinaire des jours, passions empêchées. Nul besoin d'aller au cirque pour se sentir équilibriste.
https://www.editions-passiflore.com/litterature/63-les-%C3%A9quilibristes.html
+ Lire la suite
Ce matin, je n’avais plus mal. Mais ça revient et j’essaie d’oublier la tumeur. J’écris tu meurs. Tu écris : je meurs. Tes cris, mes cris. Écris-moi. Des profondeurs vers toi, je crie « Ô Seigneur ».
... c'est le même qui exalté le culte païen de la force et de l'audace, qui déchire toutes les vérités révélées, crache sur tous les dogmes, qui ne croit ni au bonheur, ni au salut, ni à la Terre promise. C'est le même qui était peut-être près de D'Annunzio à Fiume. D'Annunzio, qui a fourni au fascisme le modèle de ses milices et de ses uniformes, le nom de ses escouades,ses cris de guerre et sa liturgie !...
Puis on les a lâchés en roue libre dans le monde. Un médecin a même dit qu’elle pouvait faire tout ce qu’elle voulait. Qu’elle allait traverser un long tunnel. Elle lui a répondu que c’était dommage parce qu’elle était claustrophobe. Toujours cet humour noir, dévastateur et si courageux. Ils étaient perdus, mais ce qui les éloignait les rapprochait considérablement.
Elle ne pouvait pas comprendre les errances de son fils unique. Les grands trous noirs dans lesquels mon esprit divaguait et allait chiner la lumière. Elle n'avait pas les mots savants de la psychiatrie pour élucider mes obsessions.
Tu es si loin dans ta journée. Quatre heures d’avance sur moi, toujours en avance. Avec moi toujours à la traîne. Je voudrais tant que tu me prennes dans tes bras pour me consoler, pour me mentir une fois de plus. Tu m’auras rapporté des étoffes, des bijoux peut-être, pour panser, pour me faire oublier. Ça tombera à pic et moi alors à bout de souffle, si je ne me suis pas tuée, trop torturée, j’adorerai tous tes mensonges, je t’encenserai, toi mon beau voyageur, pourvu que ma haine la boucle et que je sache fermer les yeux enfin, pour me laisser aimer, pour oublier toutes des rencontres.
L'enfer est peuplé d'anges. L'enfer c'est ici. Dans cette chambre. Dehors il fait froid. Dehors ça fait peur. Ils disent que je suis fou. Moi, je sais que je ne suis pas fou. Plus vous êtes clairvoyant plus les autres envient votre lucidité. Ils vous enferment pour l'éternité. Ou alors, il faut faire semblant d'aller et venir sur la corde raide du quotidien. Être le funambule qui regarde les yeux de la foule désirant sa chute fatale.
L'enfer est peuplé d'anges. L'enfer c'est ici. Dans cette chambre. Dehors il fait froid. Dehors ça fait peur. Ils disent que je suis fou. Moi, je sais que je ne suis pas fou. Plus vous êtes clairvoyant plus les autres envient votre lucidité. Ils vous enferment pour l'éternité. Ou alors, il faut faire semblant d'aller et venir sur la corde raide du quotidien. Être le funambule qui regarde les yeux de la foule désirant sa chute fatale.
Alors pour un instant, au moins rien qu'une heure, une heure seulement, je m'allongerai près de toi, contre ton corps si lisse et tiède et j'essaierai de boucher mes yeux, mes oreilles, aux images et aux musiques des profondeurs de l'Inde pour m'abandonner dans tes bras, une heure au moins ou une nuit, dans une nuit sans peur, auprès de toi, interminable, auprès de toi, mon tendre amour.
Et il ne cesse de penser à Claire la mal-nommée, Claire-Obscure, qu’il aime malgré ses noirceurs, ses peurs, son regard figé sur le marbre noir des tombeaux pendant que lui regarde le marbre neigeux.
Et elle ne le sait pas. Elle ne croit pas qu’en ce moment il ne pense qu’à elle.