Jean-Michel Terdjman

Nous pouvons passer rapidement en revue, d'abord, les obstacles qui ont jusqu'à présent empéché tout travail tel que celui-ci. Nous verrons ensuite pourquoi, malgré tout, notre tentative est apparue souhaitable.
Le premier obstacle est, bien sûr, que Spinoza et Sri Aurobindo appartiennent à deux traditions philosophiques complètement différentes. Il s'agit bien de deux histoires de la philosophie, ayant eu très peu de communications au cours de l'Histoire, de deux manières de penser ; et, à la limite, on pourrait parler de deux univers différents.
Il est impossible, en effet, d'établir un quelconque lien historique entre Spinoza, philosophe occidental du XVIIème siècle, formé par la tradition juive, le vocabulaire scolastique et la pensée cartésienne, et Sri Aurobindo, Indien du XXème siècle, éduqué en Angleterre avant de se replonger dans la grande tradition indienne. Non seulement il n'y a pas lien historique, mais il semble même qu'on puisse parler de cloison étanche : il est quasi certain que Spinoza ne connaissait rien de la philosphie indienne ; quant à Sri Aurobindo, son éducation occidentale a pu lui faire connaître Spinoza, mais il est pratiquement impossible de le savoir avec certitude. De toute manière, et c'est là le deuxième obstacle important à la présente tenative, les systèmes philsophiques de Spinoza et de Sri Aurobindo sont difficilement comparables ; les attributs et les modes n'existent pas chez Sri Aurobindo ; les niveaux de la conscience et de l'être n'existent pas chez Spinoza.
Donc, aucun lien historique et, conséquence normale, deux systèmes philosophiques différents et à première vue étrangers. Comment alors justifier la présente étude?

Tout d'abord, il faut noter que, si les deux systèmes sont difficilement comparables quant à l'agencement des concepts, quant à l'architecture interne, ils ont cependant tous les deux la même signification globale: ils sont présentés comme une explication, qui se veut complète, du monde et de l'homme, et cela à partir d'un Absolu Un et infini, que Spinoza appelle Dieu, ou la Nature, ou la Substance, et que Sri Aurobindo appelle le Brahman, ou le Tout, ou Sachchidananda (Existence-Conscience-Béatitude), ou plus rarement Dieu. En fait, il s'agit de bien plus que d'une explication : l'ambition de Spinoza et de Sri Aurobindo est d'apporter à l'Homme, à chaque homme, la Connaissance, et par là de lui permettre de gravir le chemin du Salut.

Le rapprochement de deux penseurs aussi éloignés que Spinoza et Sri Aurobindo est à première vue surprenant. Ils sont en effet situés très loin l'un de l'autre, dans le temps, dans l'espace, dans l'histoire de la Philosophie. Pourtant, un tel rapprochement n'est pas dénué de base solide, loin de là ; bien plus, il est non seulement possible, mais utile, et peut-être nécessaire.