Jean-Nicolas Paul

Au fond, tu commences à sortir avec quelqu'un parce que t'es en manque de sexe, et ce, même si tu sais que cette personne-là n'est pas faite pour toi, et une petite voix à l'intérieur te dis que tu devrais mettre fin à la relation, mais la semaine suivante cette personne te rappelle, et tu es seul et tu n'as pas vraiment de bonnes raisons pour refuser de la voir, alors vous couchez ensemble encore et encore, puis vient un moment où vous vous voyez assez régulièrement pour que les gens commencent à vous prendre pour un couple, alors tu te dis que tu dois sortir de cette relation-là, mais tu sais qu'y mettre fin va la faire pleurer, et même si tu ne l'aimes pas suffisamment pour être en couple avec elle, au fond, tu ne la détestes pas assez pour avoir le courage de la blesser en lui disant que tu ne l'aimes pas, alors tu endures encore en espérant qu'un événement extérieur se produise et vienne terminer votre relation, quelque chose comme un long voyage ou une nouvelle flamme qui te donnerait la motivation nécessaire pour affronter la cassure, parce qu'une cassure ne passe jamais bien, quoi qu'on fasse et quoi qu'on dise il y a toujours des larmes.
Alors tu attends et pendant que tu hésites, les choses se compliquent et, après quelques mois, vous habitez à la même adresse, car pourquoi payer deux appartements quand vous dormez toujours au même endroit, t'a-t-elle dit, et finalement elle ne prend plus la pilule et tu t'inquiètes, mais tu ne fais rien et les messages de désintérêt que tu essaies d'envoyer sont perçus par elle, et avec raison, comme de la soumission, et c'est ce qu'elle souhaitait au fond, un homme soumis qui lui laisserait prendre toutes les décisions, et elle tombe enceinte et refuse de se faire avorter parce qu'elle est faite pour avoir un bébé, c'est dans son plan de vie à elle, et tu t'aperçois que c'est comme ça que l'espèce continue, et combien de générations avant toi se sont reproduites comme cela par dépit ou par lâcheté et sans amour pour donner 20 000 ans plus tard un humain perdu qui n'a pas ce qu'il veut et qui rêve à autre chose en réalisant à quel point petit à petit son existence ne lui ressemble pas, et vous vous retrouvez chez Ikea à choisir le lit d'un bébé qui pèse sur ta conscience comme une peine capitale.