Jean-Paul Coujou

L'entreprise de redéfinition de l'objet de la métaphysique par Francisco Suárez (1548-1617), commence dans les Disputes métaphysiques publiées en 1597 à Salamanque, dès les premières lignes de l'ouvrage, à la première dispute intitulée «Nature de la philosophie première ou métaphysique». Cette dernière revêt une fonction d'introduction et rappelle d'entrée de jeu l'identification de la philosophie première ou philosophie fondamentale à la métaphysique, en se proposant simultanément d'en expliciter la nature. Après avoir établi l'objet et l'essence, c'est-à-dire l'universalité, la scientificité et l'unicité de la métaphysique, Suárez se propose d'en déterminer la fonction, la finalité et l'utilité. L'exposition passe du plan logico-formel à la pratique-théorique de ce savoir. Il convient de montrer que la raison d'être de la métaphysique en tant qu'habitus réside dans l'oeuvre qu'elle accomplit, cet habitas ne différant en rien de l'ensemble des autres habitas. La métaphysique, originellement, suppose la réalisation d'un processus de connaissance au terme duquel l'intellect accède à la contemplation de la vérité. Selon Aristote, ainsi que l'expose Suárez, elle porte sur la connaissance des réalités et des causes les plus élevées et se définit en tant que savoir autonome susceptible de produire une connaissance de la vérité. Cette dernière n'est accessible, rappelle Suárez, que parce que la métaphysique porte sur les étants les plus nobles et leurs raisons les plus abstraites. Ce point confirme le caractère éminemment spéculatif de cette science, cependant, la vérité qui en résulte a pour conséquence le perfectionnement de l'entendement à partir de la mise entre parenthèses du donné de l'expérience.

Si la métaphysique est utile par soi, elle l'est également dans l'acquisition de l'ensemble des autres sciences car elle leur confère une orientation spéculative capable d'en déterminer la fin dernière. Ainsi, il lui appartient d'examiner «les raisons suprêmes des étants et les propriétés les plus universelles, la raison propre de l'essence et de l'existence, et tous les modes de distinction qu'il y a dans les choses»4. La métaphysique est alors présentée comme la condition de l'accès à une science achevée des choses particulières; c'est en fonction d'elle que la scientificité de toute science acquiert la possibilité d'être établie. En ce sens, le rôle de la métaphysique consiste à servir d'instrument aux autres sciences afin d'établir le statut de leur objet, c'est-à-dire de démontrer à partir de ses principes à quel degré de l'étantité ils renvoient. Sa fonction consiste par conséquent à révéler la nature ou la raison de l'étant et celle de la quiddité afin de procéder à une différenciation catégorielle de ces mêmes étants rendant par là même possible la détermination de la spécificité des objets des sciences. On en conclut que la métaphysique est la science de la raison de tout étant et de la raison de l'essence qui, par l'universalité de son application à l'ensemble des sciences, constitue la garantie de leur légitimité et de leur possibilité. Les divisions opérées par la métaphysique représentent ainsi le réfèrent opératoire par lequel les autres sciences sont en mesure de se déterminer et de différencier leurs objets.