Jean-Paul Duc

Comment faire de la place à l’amour, alors que j’en avais moi-même reçu si peu ? Je ne savais pas ce que c’était et ne le sut pas davantage au fil des ans, lorsque je commençais à travailler en entreprise, à entrer dans les affaires et à mener une vie plus normale.
La rencontre avec Lina changea tout. Un véritable séisme dans nos existences ! Enfin… surtout dans la mienne au début. Le coup de foudre ! Au moment où j’avais ouvert la porte à cette femme représentant la société pour laquelle mon entreprise construisait une extension de bâtiment, ce fut bel et bien le coup de foudre ! Et encore, l’expression me semble bien faible. Un coup est si rapide, si violent. Pour moi, cela dura et dure encore ; il est si doux ! À quoi cela tient-il ? Le destin ? Peut-être.

J’ai perpétuellement le sentiment d’avoir dû marcher de longues heures dans le désert, sans pouvoir boire, de m’être asséché sous l’effet du sable du désert. Il en va ainsi, paraît-il, des fumeurs, lorsqu’ils doivent ensuite évacuer les drogues liées à l’hospitalisation. À méditer. Chaque goutte d’eau que l’on nous empêche de boire ici, c’est autant de cigarettes que nous avons fumées dans notre vie. Je n’en prendrai plus jamais une seule ! De toute façon, mon cœur ne le supporterait sans doute plus… Tant qu’il ne l’a pas vécu, personne ne peut imaginer ce qu’est la soif, la sensation que sa langue se dessèche, que sa bouche ne reçoit plus la moindre goutte de liquide. C’est un supplice, la plus cruelle des tortures, et boire devient une obsession.

Je comprends que chacun a son parcours, ses difficultés, qu’il parvient tant bien que mal à mettre de côté pour avancer, que la vie est difficile pour tous, à des niveaux différents mais également que, dans la majorité des cas, l’on vit dans une forme d’inconscience. Celle dans laquelle nous jette la certitude que l’on va vivre éternellement. Lorsqu’il m’arrive de pressentir des choses, des événements pour quelqu’un que je rencontre, j’aimerais souvent réveiller la personne que j’ai en face de moi en lui disant : « Profite à fond ! Sois déterminé !

Mon enfance et ma jeunesse ne se passèrent pas dans un cadre où régnaient la paix et le calme. Très jeune, j’avais vu et connu des situations que peu connaissent, des situations qui, finalement, me privèrent d’une réelle jeunesse et contre lesquelles je ne pouvais pas grand-chose. Il est dans l’existence de ces moments qui provoquent de telles ondes de choc que sur le coup, elles ne font paradoxalement aucun bruit. Elles agissent dans le silence, comme un big bang faisant des vagues successives et si puissantes que rien ne peut les arrêter.

Oui, l’horloge s’était arrêtée. Un autre temps s’était ouvert, une autre dimension, complètement folle, inenvisageable, si difficile à vivre, à décrire, à mettre en mots ! J’ai connu la mort pendant près d’une heure ! Cela peut paraître court, mais c’est extrêmement long. C’est même tout à fait exceptionnel. Mon espace-temps ne serait plus jamais pareil. Il ne serait plus le nôtre, plus le vôtre et j’aurais un mal fou à en revenir. D’ailleurs, en suis-je revenu ? C’est la question que je me pose encore aujourd’hui.

Le jour, il existe peu de chances pour que l’angoisse s’installe de nouveau. Je suis entouré. Et le monde diurne n’est pas l’environnement rêvé pour les âmes en peine. Les esprits maléfiques et malins se manifestent donc essentiellement de nuit, ce qui ne veut pas dire que cela n’a pas de conséquence dans la journée.

La maladie a parfois ce quelque chose d’étrange qui transcende l’esprit et la matière : en cet instant précis, l’épreuve physique que je venais de traverser m’avait redonné une certaine paix.

J’étais comme un crocodile qui sortait de l’eau, qui émergeait de son marais, doucement, lentement, ce qui rendait mes yeux étranges, un peu perdus mais bien présents.