Nous proposons d’appeler « chronophages » à la fois les objets qui vous prennent du temps, et les entités qui vous prennent votre argent
Le ridicule volontaire est la seule arme que s’autorise la ludique, la seule arme vraiment critique. En effet, celui qui cherche à éviter le ridicule admet les valeurs de ceux qui le jugent, les règles du jeu en vigueur, tandis que le ludicien, en choisissant de sembler ridicule, rend tout à coup possible de penser l’inverse : que ce soient les règles du jeu et les valeurs des juges qui soient ridicules.
La ludique n’a aucune originalité. Elle invite simplement à refaire le geste éternel de la question socratique, ou du doute cartésien. Car elle ne cache pas son admiration pour ceux qui ont osé tout reprendre à zéro. Qui sait si Descartes, dans le droit fil de sa pensée, ne nous tiendrait pas aujourd’hui un discours de l’améthode.
J’y peux penser à chaque fois avec la même joie, car le propre de la pensée humaine, c’est de pouvoir, devoir et savoir jouer avec la mort. Tel est le jeu qui rend humain.
L’araignée tisse. Cet animal ludique est persuadé que seul un texte peut relier l’un à l’autre les possibles qui s’excluent, et que ce texte est source de vie, pour peu que l’on ait la patience d’attendre que les objets réels, nourrissants et féconds, s’y prennent. L’araignée retourne les contraires en fondement du réseau. Elle retourne les possibles qui s’excluent en moyen de vivre tout le reste.
À première vue, l’espace-temps ressemble à une guerre de néants. Non seulement l’espace est vide et le temps néant, mais chacun nie l’autre et le prive de tout contenu subsistant. Et pourtant entre ces deux déserts infinis, il existe un trait d’union qui les relie et les esquive, comme une navette d’existence. Cette trajectoire minuscule, ce tout petit trajet, c'est l'homme.
L’algue est la digne fille du rien de Diderot, de ce rien si comédien qu’il était capable de toutes les formes. Mais elle est plus plastique que lui, son illusion est plus comique. Car le rien de Diderot joue bien à prendre toutes les formes, mais successivement, tandis que l’algue les prend toutes à la fois.
Mais si l’espace et le temps sont relatifs l’un à l’autre, ils sont négatifs l’un de l’autre : aucune fuite n’est possible de l’un dans l’autre car chacun colle à l’autre comme une glue qui le dévore. L’espace est creux, et le temps tue.
La dignité de la pensée ne réside pas dans l’universalité, mais dans la diversité excessive, la multiplication, la prolifération. La pensée avance en bifurquant, en générant, en bourgeonnant dans la joie du peut-être.
C’est cette impression que procure toute question paradoxale, car une question paradoxale n’est rien d’autre qu’une interruption momentanée de l'illusion de savoir.