Le contrôle social sur les activités perdure, même s'il prend d'autres formes plus douces (à travers le travail en groupe et la responsabilité collective), même s'il se déroule plus en amont à partir d'objectifs fixés-négociés. Plus encore, en imposant une norme comportementale et en contrôlant son respect à travers l'évaluation individuelle, les directions prouvent leur pouvoir sur les salariés, c'est-à-dire la relation inégalitaire qu'elles sont chargés de perpétuer, à travers de nouvelles formes dont le modèle de compétence n'est pas le moindre. Ce modèle vise à s'assurer, à travers l'évaluation de la loyauté des salariés vis-à-vis de l'entreprise, qu'ils ont intégré le paradigme de flux tendu avec ses obligations de disponibilités physique, intellectuelle et temporelle. Il s'agit de mettre à disposition gratuitement les savoirs et les savoir-faire acquis et entretenus (exemple: les réseaux p.43) tout au long de la carrière professionnelle.
D'un point de vue anthropologique, cet achat du temps des autres correspond à une lutte de soi-même contre le temps qui passe, contre l'outrage du temps, contre l'usure par le temps, tandis que dans d'autres situations, il s'agira d'un acte anticipateur par rapport au temps à venir. Le rapport au temps constitue ainsi le premier fondement d'une théorie des services: la plupart des services aux personnes (santé et entretien matériel du foyer et de ses équipements), mais aussi des services aux entreprises (nettoyage, maintenance en général), relèvent de cette confrontation à l'usure par le temps: il s'agit, sous une forme ou une autre, de réparations face à l'effet du temps. Les assurances diverses, en particulier la couverture sociale (sécurité sociale, retraites...), mais aussi les emprunts bancaires et d'une autre manière l'éducation apparaissent comme des attitudes anticipatrices par rapport aux situations temporellles à venir. Les assurances contre les sinistres couvrent des risques potentiels, tandis que les cotisations aux caisses de retraite traitent des certitudes, à savoir le vieillissement...
L'hôtesse de caisse, par sa recherche systématique de rapidité et de transaction minimale, tend à s'identifier à un automate dans sa relation au client: répétitivité des gestes, rejet des demandes atypiques, artificialité des dialogues et dépersonnalisation de la relation. Sans cesse, les mêmes gestes sont répétés, les mêmes paroles sont prononcées. Une certaine standardisation des mouvements se met en place. Cela est encore plus important quand il y a du monde, car l'hôtesse doit être rapide. Tout ceci pourrait s'interpréter comme un véritable souci de l'hôtesse à se désincarner: elle se déleste des attributs pouvant trahir son humanité et acquiert des automatismes susceptibles de la ramener dans le giron protecteur de la machine. La caissière entre dans un cercle vicieux: son attitude impersonnelle et déshumanisée, sa quasi-absence mentale et affective dans la relation avec le client peuvent amener ce dernier, se sentant anonyme ou traité comme un objet, à développer une attitude agressive.
L'homme nouveau est clivé, disjoint entre l'expression de lui-même ou la réalisation de soi d'une part et, d'autre part, le cadrage de son activité par une organisation hétéronome.