Jean Rodes

Parmi les « détracteurs » que combattait l’abbé Grosier, les sinologues de Guignes, père et fils, s’étaient surtout fait remarquer en déniant cette ancienneté à la race chinoise. Ils basaient leur jugement, entre autres raisons, sur le fait que l’empereur Tsin-Chi-Hoan-ti ayant ordonné, en l’an 213 avant notre ère, qu’on brûlât tous les livres, l’histoire de la Chine ne pouvait avoir aucune base sérieuse. A cela l’abbé répondait que ce prince avait préservé du feu tous les ouvrages relatifs à la médecine et au labourage, ainsi que l’histoire particulière de sa dynastie, qui remontait jusqu’à 900 ans avant Jésus Christ. Il faisait en outre observer que bien des oeuvres condamnées, par exemple celles de Confucius et Mencius, et beaucoup d’autres sans doute, n’avaient néanmoins pas disparu. Ainsi, estimait-il, les fastes de l’histoire chinoise s’étaient conservés avec une garantie d’authenticité suffisante.

De nombreux savants ont admis l’existence de ce premier peuple civilisateur tout en différant sur sa position géographique. Buffon écrit, dans ses Époques de la Nature :
« Les Atlantes, chez lesquels régnait Atlas, paraissent être les plus anciens peuples de l’Afrique, et beaucoup plus anciens que les Égyptiens. La théogonie des Atlantes, rapportée par Diodore de Sicile, s’est probablement introduite en Égypte, en Éthiopie et en Phénicie dans le temps de cette grande irruption dont il est parlé dans le Tymée de Platon, d’un peuple innombrable qui sortit de l’île Atlantique, et se jeta sur une grande partie de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique.

Les constatations faites sur l’identité des légendes et des symboles religieux chez tous ces ancêtres de l’humanité tendent de plus à faire croire que la religion primitive, conçue dans la vallée du Nil, a rayonné ensuite de là sur le reste du monde, jusqu’à la Chine lointaine. Mais on sait qu’une autre hypothèse a attribué à un peuple antérieur, préhistorique, habitant un continent disparu dans les catastrophes cosmiques du commencement des âges : l’Atlantide, le mérite de cette civilisation première.

Malgré ces obscurités et ces incertitudes qui devraient inspirer au moins le doute philosophique, l’authenticité de l’histoire chinoise commençant à Yao et même à Hoang-ti est moins discutée encore par les sinologues contemporains que par ceux des XVIIe et XVIIIe siècles, du moins en France. C’est assez curieux à une époque où la critique historique est devenue si exigeante.