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Citation de Sarahcarabin


Mais, au fond, si un système social injuste et oppressif assure sa permanence, c'est moins parce qu'il bénéficie d'un consentement explicite que dans la mesure où il parvient à créer les conditions d'une conformité pratique de tous ceux qui ne peuvent faire autrement que d'y tenir leur place - ou de s'en faire une - pour subsister. « Il faut bien gagner sa vie » est aujourd'hui l'impérieuse loi de l'adhésion sociale : étonnante formule qui dévoile combien la vie entière est soumise aux exigences du salariat et du travail, et même conditionnée par une telle soumission. La redoutable conjonction de la menace de l'exclusion et de l'obligation concurrentielle généralisée démultiplie encore l'efficacité de cette injonction. Mais il faut aussi reconnaître que celle-ci joue à la fois, dans des proportions variables selon les milieux sociaux, des stricts impératifs de la survie et des satisfactions que fait miroiter la consommation des biens matériels ou immatériels - lesquelles ne sont jamais bien loin de dévoiler leur vacuité ou de basculer dans la servitude lorsque l'endettement massif referme le piège du cycle travail/consommation/travail. Finalement, la vie sociale relève d'un incroyable automatisme qui tient à l'incorporation pratique de ses normes : on agit ainsi parce que les choses sont ainsi.
La permanence d'un système social repose donc sur une étrange tautologie : cela tient parce que cela tient. C'est-à-dire aussi… jusqu'au moment où cela commence à ne plus tenir. Jusqu'au moment où, loin d'entretenir les automatismes qui lui permettent de se reproduire, quelque chose comme une secousse collective amorce une dynamique inverse. S'enclenche alors un processus de dés-adhésion, de reconnaissance de l'arbitraire du monde social, donné jusque-là pour un cadre intangible de vie (ce qui oblige aussi à remarquer que, sous les apparences de la stricte conformité sociale, une part d'insatisfaction latente, non exprimée et sans doute en partie non consciente, devait bien être présente antérieurement). La constitution dominante de la réalité commence alors à se déliter, ouvrant la voie à la désobéissance, à l'insubordination, à l'expérimentation d'autres formes de subjectivité et d'autres manières d'agir. Cette dés-adhésion se nourrit de la digne rage que suscitent tant d'injustices, de souffrances, de destructions, de désastres. Elle suppose d'éprouver combien la réalité présente est inacceptable ; elle consiste à in-accepter l'inacceptable. Mais elle se nourrit aussi de l'espérance mobilisatrice - ou du moins de l'intuition - qu'une autre organisation sociale est possible. Elle se fait lutte, réalité contre réalité, mondes contre mondes. (p. 154-155)
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