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Citation de Coco574


me suis évanouie. Pas longtemps.
À mon réveil, mes parents sont là. Gorge sèche, langue râpeuse, tête lourde.
Je demande à ma mère si tout cela est vrai, si je suis vraiment là, si Jean a réellement eu un accident chez le fleuriste, s’il est mort. Ma voix est calme. Je crois que je sais.
Les larmes de ma mère ne font que confirmer.
Je me relève avec force, la pousse et crie comme un animal qu’on égorge. Mon père tente de me raisonner: «Ça va aller, on est là Anna, ça va aller.»
Non ça ne va pas «aller», on vient de m’amputer, de me prendre la seule personne qui me faisait rire, le seul être aux côtés duquel j’avais envie de vieillir. Alors non, ça ne peut pas aller.
«Je veux le voir», j’exige.
Mon père pense que ce n’est pas une bonne idée. J’estime que j’en ai le droit, que Jean est presque mon mari. On ne peut pas me l’interdire.
La mère de Jean m’accompagne dans la chambre où il repose. Il est si beau. La mort n’a pas encore eu d’emprise sur lui. Il est paisible. On le croirait simplement endormi. Ses boucles blondes vivent encore sur sa tête d’où un filet de sang a coulé. Ses mains sont posées de part et d’autre de son corps immobile. Plus rien ne bouge, plus un souffle, plus une paupière, plus un sourire, plus rien.
J’embrasse ses lèvres, je le serre contre moi, tout contre, et dans le creux de son oreille, je lui chuchote que je l’aime.
Puis, j’écarte mon visage du sien et je pousse un cri.

J’ai fini par accepter d’aller dormir chez mes parents.
Je n’ai pas pu m’arrêter de pleurer. Impossible de me reposer. Comment me résoudre à croire que cette histoire est vraie?
Je vais forcément me réveiller. Jean n’a pas pu mourir. Hier encore il m’embrassait; hier encore ses mains fines parcouraient mon corps, il me disait: «Je t’aime.» Hier encore, il était là.
Non, ce doit être un cauchemar. Je vais me réveiller.
Je passe la nuit à lui téléphoner, à écouter sa voix demandant qu’on lui laisse un message après le signal sonore.
Convaincue, je dis: «Tu vois bien qu’il n’est pas mort, son téléphone fonctionne, y’a même sa voix dessus, tu vois bien, écoute, écoute, écoute, prends le téléphone, il va écouter ses messages, ce n’était pas lui à l’hôpital, ce ne peut pas être lui, c’est une de ses mauvaises blagues, tu connais Jean, écoute sa voix, écoute, il a dû être coincé au bureau ou dans le métro, écoute maman, écoute sa voix, maman écoute.»
Je ne sais pas si j’en suis persuadée ou si je veux m’en persuader. Maman me regarde de façon compatissante, avec une once de pitié aussi. Elle me tend un jus de fleur d’oranger au sucre roux: «Tiens bois, ça te fera du bien.» Non RIEN ne me fera du bien.
Je m’entends parler à ma mère au travers d’un long cri pénible: «Je veux mon homme, je veux me réveiller, non je veux dormir, maman, aide-moi à dormir, maman comme du temps où j’étais petite, chante-moi une berceuse, prends-moi dans tes bras, maman, renifle-moi, dis-moi que tout cela va s’arranger puisque tout finit toujours bien, maman, serre-moi, maman, prends-moi dans ton lit, porte-moi, maman, embrasse-moi derrière l’oreille droite, j’ai besoin de toi, maman, aide-moi.»
Maman me file un médicament pour que je dorme.
Réveil. J’ouvre les yeux difficilement. Je n’ai pas envie de me réveiller. Dormir me donne l’illusion que tout ça n’est pas arrivé. Pourtant après cette sieste forcée, je réalise. Il me faut admettre que le téléphone de Jean fonctionne toujours, mais pas lui. J’esquisse un sourire: c’est étrange de mourir et de conserver sa ligne téléphonique. Je ne pourrai jamais supprimer ce numéro, celui de mon homme. Ôter son nom de mon répertoire c’est le tuer moi-même, une seconde fois. Supprimer «chéri», c’est rendre sa disparition irrévocable.
J’essaye de me lever mais je ne le peux pas, je suis bancale.
Maman prend soin de me faire un thé et de balayer les mèches qui envahissent mon visage, derniers remparts contre le monde. Vacarme dans ma tête. Pauvre maman enchaînant les «Ma chérie, ça va aller, tu vas te relever, faire ton deuil, te reconstruire, tu ne l’oublieras jamais.» Elle parle pour ne pas laisser place à ce qu’on nomme un silence de mort. Elle ajoute des phrases toutes faites. Dans sa bouche, une série de clichés défilent. Elle comble le vide.
Et puis elle revient à la dure réalité, celle qui fait que, par des détails infimes, la douleur réapparaît plus vive, plus vraie. «J’irai chez toi pour récupérer tes affaires, tu vas t’installer ici, je préviens les invités pour le mariage, je vais m’occuper du chat aussi.»
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