Un jour, j’ai eu vingt-et-un ans. Un jour, une balle française a rencontré le cœur de mon père. De Gaulle les avait compris, moi je ne comprenais pas. Quoi ! Au centre du conflit, pensez-vous. Comment aurais-je pu prendre parti dans un combat qui n’était pas le mien ? Je n’avais pas étudié, je n’avais pas vécu. Moi, je savais faire la chorba et le couscous et j’en hurlais, la nuit, parce que mon frère était en France. Non, je ne comprenais pas. Je n’étais pas libre de penser, ni d’agir. Encore moins étais-je une pauvre fille à libérer.
Mon frère me prit par la main et me dit de courir. Il faisait quasiment noir, c’est à peine si on voyait nos pieds, et les nids de poule, un vrai plaisir. Fallait être solide. Et puis on y était. Le bord de la mer. C’était la première fois que je la voyais. Là, dans le noir, on s’assit. Et mon frère me dit, en me serrant la main : « Tu vois, derrière la mer, y a la France. C’est tout droit, à vol d’oiseau. Quand j’irai au lycée, là-bas, je te dirai comment c’est. Et puis tu me rejoindras. »
Je m’étais dit, ça alors, la France derrière les vagues. Merde, on ne la voit même pas. Mon frère va vraiment partir loin. Il me serrait la main tellement fort que j’en avais mal. « Tu me rejoindras, gentille sœur. » Quand j’y repense, mon cœur se serre, c’est con.
Le jour de mes neuf ans, Tarek vint me réveiller.
- « Tu plaisantes ?! lui répondis-je, le soleil dort encore ! Laisse moi !
- Mais c’est ton anniversaire !
- Ca ne m’empêchera pas de te faire à manger, va-t-en.
- Halouf, lève-toi. J’ai un cadeau. »