aujourd'hui il y a de la pluie sur les raisins verts
j'avais faim
je descends dans la rue comme un rond de fumée
en souriant avec mes jambes
quand le soleil apparait je fais une chute dans l'escalier
c'est une journée pleine d'allusions à l'avenir
l'asphalte éblouissant sent le café
et quelqu'un que j'aime a construit une chaise
(le corps n'est qu'une clé
de grande taille
à l'air libre)
le lait change de couleur
en comptant les étoiles
quelqu'un boit du café
le ciel est-il bleu? est-il moins noir?
au sommet d'un arbre l'aube reste couchée
les gens du passé tiennent au creux de ma montre
mais moi, qui m'attendra?
en septembre
mois charnel des fruits
le ciel et l'eau se séparent
en inondant l'une des deux gares
dont j'ai franchi les tourniquets, bref
telle sera la vie : ponctuée de passages
et parce que la pluie me rappelle
lamour aux lueurs minérales
d'une cuillère en métal
par la pensée je mélange nos breuvages
Cest l'automne mon ami
le monde n'est pas étranger au vin chaud
de ville en ville sous chaque trottoir
sous les herbes les racines ont compris
elles embrassent le début d'un carême
se sacrifient comme des escabeaux
et se replient sur elles-mêmes
en grignotant de l'écorce ou peut-être
de la roche en menus morceaux
pour mieux digérer
buvons nous aussi trinquons
à ce qui ne pousse qu'ici
la rivière fait demi-tour
et me rend mon chapeau
le passé lui aussi
est bon samaritain
il rebrousse ses vieux os
comme des accordéons
chantant quand j'ai bu du vin
et se taisant sinon
cette peine-là
est de saison, brume
déhanchée contre le ciel
il se met à pleuvoir de minuscules araignées
des étoiles comme nous mais mieux
des gouttelettes encore poudreuses
comme des briques muettes
des flèches d'averse
viennent crever dans nos bras faibles
et nous portons à nos lèvres
des souvenirs d'herbes
nous avalons la liqueur
des marchés publics
à la santé de quelqu'un
ou d'un soi ancien dans Phiver
éternel cette année-là
pauvre époque aux nuages de tabac
aux vêtements de grains de riz
à la gorge serrée par un seul
espoir quotidien et de jour
en jour les heures reculent
au fond de la nuit sans mesure
où chaque fille protestante scintille
en négligeant les usages du charbon
et jamais nous ne fûmes si loin
mais dans la grande vallée
loin du jour où j'eus des repères
une question me vient
dans la grande vallée
de l'hiver prochain
avec qui vais-je partager
ce kimono
qui jadis
appartint à ma mère
aussi bien qu'aux mouettes le ciel?
sous l’eau quasiment
toutes les horloges
sont en contradiction
mais par le trou des mots
on regarde le passé
debout pour toujours
il est là on le voit
il retient son souffle » (p. 78)
au sujet de la vie on n’aura plus les pieds mouillés
il pleut contre nos sens
l’eau coule vers le haut soleil
elle ignore où elle va
comme beaucoup d’entre nous
(p. 11)
pour finir nous ferons un voyage avec rien
il faudra même sourire à nos vêtements
lorsqu’à leur tour ils s’en iront
fous de tristesse
dans une éternité en assouplissement
pour cette raison nous serons toujours nus
et bien mal à nos aises
comme des papillons piqués d'une aiguille
nous n'attendrons rien du vendredi treize
et nous retournerons hanter
la ruelle grise de notre enfance
où rote quelquefois un buveur tardif
(p. 14)
personne ne me connaît et je suis allongé
je suis comme la mélisse dans la jardinière
ma valeur carbonique dépasse les mots
ma dernière volonté sera
(p. 32)