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Citation de Ali022


Ali022
13 septembre 2021
Et le deuil s’impose à eux. Le deuil est une nouvelle réalité qui les oblige à se positionner par rapport à lui, à trouver une manière de l’intégrer dans leur vie. Le deuil n’est pas un rhume ou une infection qu’on affronte et qu’on surmonte pour en être enfin débarrassé.
Benjamin en fait lui-même l’expérience. Un an environ après la mort de Rasmus, il croise une vague connaissance à la pharmacie. Il a du mal à situer l’homme, une grande folle – mais d’où est-ce qu’il le connaît ? Il réussit malgré tout à formuler un « salut », puis à demander : « Ça va ? » Le visage radieux, l’autre répond le plus naturellement du monde, comme s’ils se fréquentaient depuis des lustres : « Tiens, salut ! », puis : « Ça va très bien, merci ! »
Benjamin est sur le point d’ajouter quelques mots sur la pluie qui tombe à verse, quand l’autre paraît soudain hésiter, à croire que quelque chose lui est revenu à l’esprit et qu’il doit apporter une légère rectification : « Non, en fait ça ne va pas si bien que ça. Mon mari est mort samedi dernier. Je l’aimais tellement. »
Les mots tombent, lourds, nets. Un bref instant, tout s’arrête, avant que la pluie ne se remette à ruisseler sur la vitrine. Entre-temps la file d’attente s’est résorbée, c’est au tour de Benjamin de payer, il tend ses achats au pharmacien.
En ce lundi, vers midi, le pharmacien, Benjamin, les autres clients, tout le monde entend les mots de cet homme tout à coup esseulé, transformé en ombre. Le deuil et l’exclusion déferlent sur lui telle une vague de solitude.
« Mon mari est mort samedi dernier. Je l’aimais tellement. »
Un bref. Instant, peut-être à cause de ce saut qu’il a dû faire à la pharmacie (quoi de plus banal ?), cet homme s’est senti complétement normal, pris dans le train-train quotidien. Puis ça lui est revenu, d’un seul coup il s’est souvenu. Qu’en fait, non, ça ne va pas bien du tout. Qu’au contraire c’est épouvantable, que son monde vient de s’écrouler, que tout est brisé, qu’il ne reste qu’une réalité irréelle, un après effroyable où plus rien ne pourra aller bien puisque tout a été brisé.
Parfois, ce n’est pas une question de vie. C’est une question de survie. Il s’agit de survivre à cet instant, puis au suivant, puis à un autre, puis à un autre encore. Il s’agit de passer au travers, de continuer à respirer, une respiration à la fois. Ça ne change peut-être pas grand-chose sur le moment, mais à la longue ça peut s’améliorer.
Benjamin est bien placé pour le savoir. Il s’est trouvé dans la même situation, il s’y trouve encore. Mais ça ne sera pas toujours comme maintenant car maintenant est épouvantable et ça ne doit surtout pas l’être pour toujours ; c’est épouvantable et c’est comme ça, et tant pis s’il est impossible de croire autre chose en ce moment.
Ça ne doit surtout pas l’être pour toujours : épouvantable.
Benjamin passe son après-midi à penser à l’autre. À penser qu’ils sont deux jeunes hommes partageant la même expérience. À penser que votre vie peut se briser et pourtant vous continuez à aller faire des emplettes à la pharmacie, vous mettez un short et un tee-shirt parce que c’est l’été, vous saluez des amis, vous dites « merci », vous dites « ça va », bien que votre monde se soit brisé et qu’il ne puisse jamais être reconstruit.
p.808-809
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