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Critiques de José Henrique Bortoluci (2)
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Ce qui m'appartient

Ce livre magnifique pourrait être sous-titré « La vie d’un homme ordinaire » ; il retrace l’existence de José Bortoluci, né au Brésil en 1943 dans une famille pauvre issue de l’immigration blanche européenne, qui a commencé à travailler dès l’âge de 7 ans, d’abord aux champs, puis dans un garage, avant de devenir chauffeur routier pendant cinquante ans, de 1965 à 2015. Au crépuscule de sa vie, il doit lutter contre un cancer colorectal.

L’auteur-narrateur, qui est le fils de cet homme, évoque la classe ouvrière brésilienne au XXe siècle, en particulier ses valeurs conservatrices centrées autour du travail et de la masculinité.

Le texte est aussi une diatribe sans concession contre la situation que traverse actuellement le Brésil ; José Henrique Bortoluci critique âprement la société brésilienne, dont l’histoire est marquée par une grande brutalité ; il analyse, entre autres, les cancers de la colonisation et de l’obsession du progrès, les violences raciales, écologiques, la dictature sanguinaire, et la « dévastation collective » qu’a représentée l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro en 2018.



Ce récit non linéaire est à la fois le portrait d’un homme, d’un pays et d’un désastre environnemental. Il présente en alternance la voix de l’auteur-narrateur et celle de son père, qu’il a enregistrée à la faveur du confinement de 2021 puis retranscrite avec son accent et sa façon singulière de parler et de raconter des anecdotes. Bortoluci reproduit quelques passages du journal intime de sa mère. Ce dispositif fragmenté, kaléidoscopique et bien ficelé permet des allers-retours temporels et ne présente pas de longueurs (si ce n’est peut-être les descriptions détaillées des traitements contre le cancer) en évitant l’écueil du catalogage.

Bien que dépourvu de véritable tension narrative, le texte de Bortoluci happe le lecteur par sa sobriété, sa tendresse, son absence totale de jugement, de poncifs, ou encore de mièvrerie et de misérabilisme.

S’il parle inévitablement de lui, l’auteur tait la relation filiale qui le lie à son père, pour se concentrer sur l’existence de cet homme, sans oublier de procéder à une « archéologie de ses silences ». Ainsi, son père n’évoque jamais ni la politique ni la dictature, qu’il a pourtant vécue.

Derrière Annie Ernaux, Didier Éribon, Édouard Louis et bien d’autres, Bortoluci analyse finement sa situation de transfuge, issu du milieu ouvrier et évoluant dans les sphères de l’élite intellectuel.

Le récit est émaillé de références à la fois occidentales – Walter Benjamin, Tove Ditlevson, Susan Sontag, Roland Barthes, Ernest Hemigway, Brecht, Maria Stepanova, etc. – et brésiliennes – Machado de Assis, Guimarães Rosa.



S’inscrivant dans la lignée des textes d’autofiction d’Annie Ernaux, Édouard Louis, Svetlana Alexievitch, Karl Ove Knausgård, Chris Kraus, etc., Ce qui m'appartient m’a aussi rappelé, en raison de la sobriété du ton et de la distance émotionnelle, les films du documentariste brésilien Eduardo Coutinho.

Comme souvent dans les biographies fictives ou essais littéraires, l’auteur n’hésite pas, dans le premier chapitre, à présenter sa démarche et ses influences littéraires, cinématographiques, sociologiques (José Henrique Bortoluci est sociologue).

Sans que le projet présente d’aspect véritablement novateur, la qualité du dispositif, l’intelligence, l’épaisseur fine et lucide des propos doux-amers en font un texte singulier, instructif et agréable à lire.

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Ce qui m'appartient

L'auteur, le livre (240 pages, 2024, 2023 en VO) :

José Henrique Bortoluci est un nouvel auteur venu du Brésil : à la quatrième génération d'émigrés italiens depuis son arrière grand-père dans les années 1910, c'est le premier à bénéficier vraiment du fameux ascenseur social. Après des études de sociologie aux États-Unis, il enseigne aujourd'hui à São Paulo. Un transfuge de classe pour reprendre une expression en vogue.

Ce qui m'appartient est son premier roman, autobiographique, dans lequel il nous raconte son père camionneur sur les routes sans fin du Brésil.



♥ On aime :

• De 1965 à 2015, le père de José, un homme que tout le monde appelle Didi, sillonne pendant cinquante ans les routes mal carrossées du pays au volant de son camion. Un petit artisan, jusqu'ici anonyme, de la colonisation de l'Amazonie et de la destruction de ses ressources écologiques.

Aujourd'hui malade et contraint au repos, Didi aimerait bien savoir si "il serait possible de faire le tour de la Terre avec la distance qu’il avait parcourue en tant que chauffeur routier. Et si c’était possible d’arriver jusqu’à la Lune ?".

Une vie monotone, répétitive mais pas banale, et qui a de quoi attirer le lecteur européen avide de grands espaces et curieux de cet immense pays revenu sur la scène de l'actualité depuis quelques années. .

• Bortoluci n'a pas voulu écrire une biographie de son père, encore moins le récit de sa propre enfance. À travers le portrait de Didi, il dessine plutôt en creux celui de son pays, par petites touches impressionnistes, une photographie de ci, une lettre de là, ...

Un tableau fait d'interviews (réalisées pendant le Confinement !), de quelques pages du journal maternel et bien sûr des interventions et commentaires de sa part, en bon sociologue soucieux de comprendre l'évolution de son pays et de la classe ouvrière blanche brésilienne.

Il dit s'être emparé de l'idée des "biographèmes" de Roland Barthes, ces anecdotes mineures, d'apparence insignifiantes mais qui peuvent en dire beaucoup..

• "Bien qu’il ait passé des années de sa vie sur les chantiers colossaux qui servaient de carte postale au régime, mon père parle peu de la dictature". C'est donc le fils qui se charge, au fil des pages, entre deux anecdotes, de mettre en perspective la petite histoire individuelle et de l'inscrire dans la grande Histoire du pays.

Mais à trop vouloir expliquer et analyser la trajectoire de son père, José Henrique Bortoluci passe peut-être à côté d'un grand roman : les pages les plus émouvantes sont quand même celles où le camionneur raconte ses anecdotes, tartarinades et aventures..

• Didi est aujourd'hui atteint d'un pénible cancer, et les pages sur la maladie reviennent fréquemment, signe de l'appréhension du fils devant la disparition prochaine du père, peut-être signe de l'inquiétude de l'homme devant son propre devenir (l'auteur a quarante ans et la maladie aurait des gènes héréditaires), et signe assurément des désordres qui rongent le pays parce que "le cancer suit également une logique coloniale".

• Outre Annie Ernaux qui dans son oeuvre, tente elle aussi de comprendre la classe dont elle est issue, l'auteur cite également la biélorusse Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature 2011) qui considère que, jusqu'ici notre humanité mesurait l'horreur suprême à l'aune des guerres, mais que nous sommes désormais entrés dans l'ère des catastrophes. Une auteure que l'on avait découvert avec La Supplication, son roman choral sur les survivants de Tchernobyl. Voilà qui donne un goût amer aux aventures de Didi.

Pour celles et ceux qui aiment les routiers.
Lien : https://bmr-mam.blogspot.com..
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