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Citation de Woland


[...] ... Je braquai mes jumelles sur la maison [de Kurz]. Il n'y avait pas signe de vie, mais on voyait le toit en ruine, le long mur de pisé se montrant au-dessus des herbes, avec trois petits carrés de fenêtres, tous de taille différente ; tout cela mis à portée de ma main, pour ainsi dire. Puis je fis un mouvement brusque, et l'un des piquets qui restaient de cette palissade disparue surgit dans le champ des jumelles. Vous vous rappelez que je vous avais dit que j'avais été frappé à distance par certains efforts d'ornementation, assez remarquables dans l'aspect ruiné de l'endroit. Maintenant je voyais soudain de plus près, et le premier effet fut de me faire rejeter la tête en arrière comme pour esquiver un coup. Puis je passai soigneusement de piquet en piquet avec mes jumelles, et je constatai mon erreur. Ces boules rondes n'étaient pas ornementales mais symboliques ; elles étaient expressives et déconcertantes, frappantes et troublantes - de quoi nourrir la pensée et aussi les vautours s'il y en avait eu à regarder du haut du ciel. Mais, en tous cas, telles fourmis qui seraient assez entreprenantes pour monter au piquet. Elles auraient été encore plus impressionnantes, ces têtes ainsi figées, si les visages n'avaient pas été tournés vers la maison. Une seule, la première que j'avais distinguée, regardait de mon côté. Je ne fus pas aussi choqué que vous pouvez le penser. Mon sursaut en arrière n'avait été, réellement, qu'un mouvement de surprise. Je m'étais attendu à voir une boule de bois, comprenez-vous. Je retournai délibérément à la première repérée - et elle était bien là, noire, desséchée, ratatinée, les paupières closes - une tête qui semblait dormir en haut de ce piquet, et avec les lèvres sèches et rentrées qui montraient les dents en une étroite ligne blanche, souriait, aussi, souriait continûment de quelque rêve interminable et jovial dans son sommeil éternel.

Je ne révèle pas de secrets commerciaux. En fait, le Directeur devait dire que les méthodes de M. Kurz avaient perdu ce district. Je n'ai pas d'opinion sur ce point mais je voudrais que vous compreniez clairement qu'il n'était guère profitable que ces têtes soient là. Elles montraient seulement que M. Kurz manquait de mesure dans la satisfaction de ses passions variées, que quelque chose manquait chez lui - une petite chose qui, quand le besoin se faisait urgent, ne se trouvait pas sous sa magnifique éloquence. S'il était lui-même conscient de cette déficience, je ne saurais dire. Je pense que cette connaissance lui vint à la fin - seulement tout à la fin. En revanche la brousse sauvage l'avait trouvé de bonne heure et avait tiré de lui une terrible vengeance après sa fantastique invasion. Elle lui avait murmuré je crois des choses sur lui-même qu'il ne savait pas, des choses dont il n'avait idée tant qu'il n'eut pas pris conseil de cette immense solitude - et le murmure s'était montré d'une fascination irrésistible. Il avait éveillé des échos sonores en lui parce qu'il était creux à l'intérieur ... Je posai les jumelles et la tête qui avait paru assez proche pour qu'on lui parle sembla aussitôt avoir bondi loin de moi, passant dans un lointain inaccessible. ... [...]
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