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Citation de Rorty


Non. Je restai pour rêver le cauchemar jusqu’au bout, et pour manifester une fois encore ma fidélité à Kurtz . La Destinée, Ma destinée ! C’est une chose cocasse que la vie – cette mystérieuse disposition d’une logique implacable dans un dessein futile. Le mieux que l’on puisse en espérer est une certaine connaissance de soi – qui vient trop tard – et une moisson de regrets inapaisables. Je me suis collecté avec la mort. C’est le combat le moins passionnant qu’on puisse imaginer. Il se déroule dans une grisaille impalpable, sans rien sous vos pas, sans rien autour, sans public, sans clameurs, sans gloire, sans ce grand désir de vaincre, sans cette grande peur d’être vaincu, dans une atmosphère débilitante de scepticisme tiède, sans grande foi dans vos bon droit, et moins encore dans celui de votre adversaire. Si telle est la forme de l’ultime sagesse alors la vie est une plus profonde énigme que ne le croient certains d’entre nous. (…)
Depuis que j’ai moi-même jeté un coup d’œil pardessus le bord, je comprends mieux le sens de son regard fixe, qui ne percevait pas la flamme de la bougie, mais était assez large pour embrasser l’univers entier, assez perçant pour pénétrer tous les cœurs qui battent dans les ténèbres. Il avait résumé – il avait jugé. « L’horreur ! ». C’était un homme remarquable. Après tout, c’était là l’expression d’une espèce de foi ; elle avait la franchise, elle avait la conviction, elle avait le ton vibrant de révolte dans son murmure, elle avait le visage épouvantable d’une vérité entr’aperçue – cette étrange mixture de désir et de haine. Et ce n’est pas ma propre extrémité que je me rappelle le plus distinctement – vision de grisaille informe remplie de souffrance physique, mépris nonchalant du cratère évanescent de toutes choses – jusqu’à cette souffrance même. Non ! C’est son extrémité à lui qu’il me semble avoir vécue. Il avait fait cette dernière enjambée, c’est entendu, il avait franchi le bord, alors qu’il m’avait permis de retirer mon pied hésitant. Et c’est peut-être en cela que réside toute la différence : peut-être que toute la sagesse, et toute la vérité, et toute la sincérité, sont concentrées dans ce laps de temps, impossible à mesurer, au cours duquel nous franchissons le seuil de l’invisible.
(…) C’était une affirmation, une victoire morale acquise au prix d’innombrables défaites, d’abominables terreurs, d’abominables satisfactions. Mais c’était une victoire ! C’est pourquoi je suis resté fidèle à Kurtz jusqu’au bout et même au-delà, quand bien longtemps après j’entendis à nouveau, non point sa propre voix, mais l’écho de sa magnifique éloquence que me renvoyait une âme d’une pureté aussi transparente qu’une falaise de cristal.
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