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Citation de EtienneBernardLivres


Il est bien entendu que je parle ici du rat géant, et non de ce petit animal qui rôde souvent dans les chambres à coucher, en l'absence des chats.
Le rat de cette grande espèce est un animal terrible ; il craint les chats pour ses enfants, jamais pour lui.
De son côté, le chat, dans sa perspicacité féline, respecte ce rat, et semble ne pas se douter de son existence ; il lui en coûterait trop de s'avouer qu'il le craint.

Cette retenue, des deux parts, amène quelquefois de singuliers résultats dans les localités où abondent ces deux espèces ennemies.
Les rats et les chats, reconnaissant qu'il y aurait folie à se livrer bataille, sous prétexte d'hostilité traditionnelle, abjurent leurs instincts, et s'accordent une trêve perpétuelle.

On les voit manger au même charnier et boire au même ruisseau ; mais ils n'échangent entre eux aucun regard : ils sont censés ne pas se voir ; de cette manière, ils ne violent pas les lois de la nature, qui les obligent à se battre à la première rencontre.

Sage leçon qu'ils donnent aux hommes batailleurs ! — Que gagnerions-nous à ces combats stupides ? pensent ces animaux ennemis ; des coups de dents ! des coups de griffe ! et pourquoi ? Nous ne pouvons pas nous manger après notre mort ; à quoi bon alors s'entre-tuer ou s'écorcher la peau ? Notre instinct est absurde, notre raison vaut mieux.

Cependant, lorsqu'il s'agit de détruire un chat dangereux et peu raisonnable, ou accusé d'avoir levé une griffe perfide sur l'innocence, les rats ne balancent jamais.

On forme alors une coalition de cave ; les plus braves sont choisis ; des espions exercés observent les habitudes de l'ennemi ; un rapport est adressé au chef.

Le chat criminel rôde d'habitude dans un endroit désigné. L'embuscade est à son poste. On attend avec cette patience sage qui caractérise les animaux ; on ne brusque rien, on ne remue pas.

Le chat vient, sans défiance, faire sa maraude accoutumée ; vingt museaux, armés de dents fines, se précipitent sur lui, comme vingt poignards vivants ; un miaulement court et hurlé retentit dans le souterrain : le chat bondit, escalade le mur, fait grincer ses griffes sur la voûte, pour s'y cramponner, retombe lourdement au milieu de ses ennemis, et, n'espérant plus se sauver par la fuite, et voyant la seule étroite issue du souterrain gardée par de féroces sentinelles, il engage, seul contre tous, un combat héroïque, digne d'une épopée égyptienne.

Les rats, qui ont une tactique merveilleuse en toute chose, ont divisé leur petite armée en deux corps : l'un se bat, pendant que l'autre reprend haleine à l'écart ; de sorte que le chat est toujours assailli par des troupes fraîches ; et, après une ardente lutte de plusieurs heures, ayant épuisé ses forces et sa respiration, mordu aux quatre pattes, ravagé dans sa fourrure, raccourci dans sa queue, borgne, boiteux, découragé, il s'affaisse un instant, comme pour prendre une pose de sphinx, et cet instant est décisif ; la troupe des rats donne à la fois et exécute une charge complète ; le chat disparaît sous une masse compacte et ondoyante, comme un canot sous une vague sombre ; il ne reparaîtra plus vivant à la surface, et, au lever du jour, quand le sommelier descendra dans le souterrain, il ne trouvera que le cadavre du vaincu, égorgé par des meurtriers invisibles, qui ont pris la fuite après le crime, pour se soustraire à la vindicte des lois.
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