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Citation de Charybde2


Je quitte la dernière ampoule de la rue, arrive sur la plage obscure. Je longe l’Atlantique comme si j’allais au travail de nuit. Je m’arrête peu après le cimetière, à côté de la case abandonnée. Bocar et Moussa m’attendent devant la porte ouverte. Deux heures moins. On se salue par gestes. On retire la bâche. On maudit en silence les cent mètres de sable qui nous séparent de l’océan. Et on commence à pousser la pirogue… C’était une carcasse qui pourrissait au soleil. Elle n’a pas coûté cher. On a beaucoup travaillé pour changer les lattes et mettre le masticon. La nuit, surtout. Pendant trois ans… Six mètres de long. Je ne sais pas combien elle pèse. On aurait préféré une en plastique… Il nous faut beaucoup de temps et de sueur pour la pousser au bord. Et enfin les vagues lèchent la proue. Les allers-retours commencent. Quarante jerrycans de trente litres. Blancs, bleus et sales. J’ai l’impression de m’enfoncer toujours plus dans le sable. Mes jambes brûlent… Beaucoup sont partis sur des pirogues immenses et surpeuplées, avec le minimum de carburant. Nous, on est tout petits, rapides, et on a plus d’essence qu’il n’en faut. Et aucun passeur n’a fait de graisse avec notre argent… Encore un bidon. Pour l’eau. Enfin le riz qu’a amené Moussa, le poisson séché de Bocar, le nescafé que j’ai volé à ma mère et nos sacs. Dans le compartiment presque étanche qu’on a aménagé sous le banc, à l’arrière. Le jour se lève quand on amène le moteur… On a réussi à l’acheter l’année passée. Il était mort. On en a récupéré un autre, cassé aussi, pour les pièces. De deux Bocar en a fait un. Depuis un an il change des vis, des durites, des joints ; il nettoie le carburateur, vérifie les électrodes au cul des bougies, règle l’avance de l’allumage… Il l’a essayé dans une grande poubelle remplie d’eau. Il marche bien, maintenant. On le fixe à la chaise, le branche à la nourrice. Puis il faut pousser la pirogue dans l’océan. Quelques mètres à peine… On est tellement fatigués… Mais on finit par y arriver, avec le ressac. On embarque et je tire sur le lanceur. Le bruit de la machine écorche l’aube. C’est à moi de nous faire passer la barre. Mon père m’a appris. (« Après Guet Ndar »)
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