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Citation de SZRAMOWO


Nous sommes dans la forêt et nous faisons à manger pour tenir debout. Nous ramassons du bois, descendons jusqu’au quartier Farkhana acheter du poisson, ou montrer qu’on en achèterait bien ; ainsi, si nous croisons des âmes charitables, elles nous en donnent à force d’insistance. En tout cas, si elles nous en donnent, ce n’est jamais un morceau très charnu, plutôt les têtes ou les arêtes. La nuit, avant de dormir, il fait froid, encore plus froid que si nous étions sur les rives du fleuve Ruo, où je suis né, où j’ai vu naître tous ceux que j’ai laissés derrière moi en partant à la recherche d’autres fleuves et d’autres rives. Après manger, s’il y a de quoi, nous réchauffons nos mains, nous nous recroquevillons sur nos cartons, sous nos couvertures, et nous nous racontons des histoires. Alors je fais comme si je n’avais aucune histoire à raconter, comme si je n’avais rien à dire. En réalité, je sens que si je me mettais à parler, je ne m’arrêterais plus, et les gens se diraient que c’est une mauvaise habitude prise dans mon village, de ne pas laisser parler les autres ; s’ils entendaient ma voix défaillir, ils croiraient que je joue la comédie et cherche à les tromper. Alors je garde la bouche fermée et me contente d’écouter ceux qui ont la bonté de partager leur histoire. Il n’y avait pas, dans cette résidence temporaire où nous étions installés, de raisons de se réjouir, et toute personne capable de dépasser notre réalité immédiate pour nous sortir de notre quotidien était un héros. Oui, un véritable héros qui, ayant toutes les raisons de se plaindre du matin jusqu’à l’heure venue de mettre ses mains entre ses cuisses pour essayer de dormir, avait la force de raconter quelle avait été sa vie avant d’atterrir ici. Un type comme Peter, par exemple. Il portait une barbe à croire qu’il ne s’était jamais rasé. Dans son village, on l’appelait Ngambo, dit-il. Il racontait qu’il avait été porteur, mais ne disait ni de qui ni de quoi ; il était déjà très généreux de partager son histoire. Ngambo disait n’avoir jamais songé à quitter son pays, il s’y était résolu parce que son père avait été la victime d’une injustice. Chaque fois qu’il mentionnait son père, il se redressait pour qu’on entende bien les détails de son histoire, pour qu’on n’ait aucun doute sur le caractère extraordinaire de son géniteur. Sans chercher pourtant à trop en faire, il voulait simplement que rien ne nous échappe.
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