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Citation de coco4649


Je suis la pointe aiguë.

La rue monte. Puis c'est un escalier. Enfin
Le trottoir s'aplanit, s'incline et redescend.

Or, sur l'étroit sommet où se joignent les pentes,
Des deux côtés, dans l'intervalle des maisons,
On aperçoit la ville jusqu'à l'horizon.
Et je viens m'y tenir ardemment immobile
Pour bien sentir que je la crains et que je l'aime.

Au sud je vois le boursouflement violet
Du centre, comme un poing trop serré qui bleuit.
Je vois les pierres qui appuient trop sur les hommes,
Et la chair qui résiste à l'étreinte des murs.

Là, tous les mouvements aux courbes divergentes,
L'itinéraire des passants et des voitures,
Les trains, les courants électriques, les idées
Se joignent en fagot par un bout de leur tige ;
Et, reliant dans une glu toutes les vies,
Un brouillard noir se lève au confluent des forces.

La masse, vers le sud est trop lourde ;
Elle expire un brouillard trop stagnant ;
J'y perçois tant de choses nouées,
Qu'un des prolongements de moi-même
A sans doute été pris et meurtri
Dans cette ligature étouffante.

Ce doit être un de ces filaments
Qui me continuent et qui m'attachent.
Qui sont mes branches et mes racines,
Par qui, depuis les maisons là-bas
Jusqu'aux cellules de mon cerveau,
Quelque chose d'ininterrompu
Où ce qui est la ville devient
De nuance en nuance mon corps,
Ondule, tremble, brûle, jouit.

C'est un mince filament qui saigne,
Qui se recroqueville, broyé
Sous le poids d'une église ancienne
Ou l'encombrement d'un atelier.
En une douleur, il me résume
Les tourments compliqués que recouvre
La brume,
Et c'est toute ma chair qui comprend d'un seul coup.

*
La ville, vers le nord, je l'aime. Le brouillard
Est du soleil nouveau qui fermente et qui mousse ;
Il en est tant tombé, de soleil, à la fois
Qu'il n'a pas eu le temps de se clarifier ;
Et l'ébullition blanche monte à mes pieds.
Elle est légère, elle est gazeuse de rayons ;
Elle est pleine d'aurore en mousse. Je ne puis
Empêcher qu'elle m'enlève. Je suis du liège.
Je ne pèse pas même autant que la clarté.

La ville vers le nord est bossue de faubourgs ;
Elle s'épanouit, elle gonfle, elle pousse ;
Elle s'exalte en excroissances palpitantes
Qui sont des embryons et des printemps de villes,
Où pullulent des hommes pauvres et musclés.
Hâtivement, ils se reproduisent et meurent.
Il y a plus d'enfants que de vieillards, au nord,
Il y a plus d'usines que d'églises.

Mues par les forces comprimées
Qui font ressort et se détendent,
Les maisons des faubourgs, au nord,
Ont l'air de ramper en avant.
Il semble qu'elles partent pour
Trouver plus loin du sol désert,
Pour s'y planter, pour assouvir
La faim de croître qu'ont les germes,
Et s'y multiplier chacune
Jusqu'à la taille d'une ville.

Au nord les usines arborent
Leur souffle en guise de drapeau,
Et se servent des cheminées.
Pour brandir parallèlement
Les héroïques fumées noires.
Mon sang le plus jeune réclame
Que je les suive, que je marche
Avec la masse des maisons.
Mon âme en haut de moi s'allonge
Et flotte comme les fumées.

Ville tu peux grandir et rouler vers le nord,
Je t'accompagnerai toujours sans m'essouffler.
Démolis ton enceinte, et saute l'horizon,
J'étirerai mes bras pour t'embrasser encore ;
Mon cœur s'élargira pour bien te sentir toute,
Et je te percevrai d'un bout à l'autre bout.

Existe, agis indéfiniment, ville aimée,
Ma conscience ira jusqu'où vont tes fumées.

p.156-157-158-159-160
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