Julie Peghini

La création d'un État est, dans une certaine mesure, la prophétie autoréalisatrice du développement d'une nation. Ceci est historiquement vrai à l'île Maurice, où l'État a été le cadre ordonnateur de la nation. Mis en place de façon stable et durable depuis l'origine des colonies, il prône une idéologie, «l'unité dans la diversité», qui se présente toujours comme une manière d'ajuster en permanence les distinctions communautaires qu'elles soient d'ordre racial, c'est-à-dire liées à la différence de couleur blanc/noir, liées aux pays d'origine, l'Inde ou plus généralement l'Asie, Chine et Inde réunies. La culture politique spécifique de l'île Maurice s'est imposée comme un processus toujours en cours qui a pour effet de fixer les inégalités qui sont devenues des catégories constitutionnelles. Elles ont été ordonnées autour du principe unitaire aux divers groupes sociaux issus des migrations de travail de l'océan Indien occidental qui ont supplanté le travail des esclaves dans l'économie de plantation sucrière. Alors que certains chercheurs travaillent aujourd'hui sur la représentation de l'indianité dans le cadre national, je me propose d'évoquer ici la créolité en tant qu'elle constitue le réfèrent unitaire, à la fois contradictoire et complémentaire, de l'indianité.

Dans mon apprentissage de la société mauricienne, j'ai aussi eu soin d'évoluer dans des milieux très différents - des artistes, des intellectuels ou militants, de positions diverses, ou encore des Mauriciens particulièrement actifs de la vie sociale sans pour autant être militants. Cette pratique de la diversité sociale m'a été utile pour comprendre de l'intérieur le «multiculturalisme» mauricien. Les entretiens que j'ai eus avec de nombreux artistes, la lecture des ouvrages comptant comme étant les plus connus ou bien au contraire peu remarqués, certains événements étudiés rétroactivement comme «l'affaire Kaya» ont été plus qu'une propédeutique de ce qui est le plus communément partagé entre Mauriciens : cette manière de se présenter unis à l'extérieur, vis-à-vis de l'étranger, tout en valorisant la diversité. C'est donc bien de suivre cet itinéraire que je propose au lecteur de ce livre tout en m'efforçant de garder une distance critique vis-à-vis des faits observés ou des propos recueillis, seule manière d'affirmer le contenu anthropologique de ce travail sans lequel je n'aurais pu comprendre les modes de communication de la société mauricienne contemporaine.

«Nous avons une culture mauricienne spécifique, bien à nous et en devenir depuis longtemps déjà» (17 avril 2001).