Celui qui se connaît lui-même connaît son Seigneur
Cette parole attribuée au Prophète représente un enseignement essentiel que l'on retrouve dans différentes grandes traditions spirituelles. Elle rappelle la sentence du Gnothi seauton inscrite sur le fronton du temple de Delphes, dans la Grèce antique : « Connais-toi toi-même [ et tu connaîtras le secret de l'univers et des dieux.] » Je vois que la naissance de l'islam s'inscrit dans la contuinité de la Tradition de sagesse de l'humanité, et non en rupture. Si rupture il y a , c'est avec l'être humain qui, de tout temps et en tout lieu, « mécroit », c'est-à-dire « voile » la Présence divine.
Faire l'expérience d'être parent, c'est aussi vivre une rencontre. Rencontrer mon enfant, c'est rencontrer un être libre, c'est rencontrer un frère face à la Présence divine. Cette conscience, certes, réside d'abord dans le secret du cœur. Il est nécessaire que je réponde à cette immense responsabilité de le protèger, que je traverse ce lieu où l'enfant me demande une présence totale, un abandon de ma volonté. Quelle volonté rationnelle pourrait organiser l'existence d'un tout petit qui suit le cours de l'instant, de désirs que je ne comprends pas toujours ? Le petit enfant, à sa manière, me cloue à l'instant, de désirs, envoie valser mes concepts et mes prévisions. De la même façon que, parfois, le majdhub peut le faire, il me rappelle la non-existence du mental chez un être relié au pur mouvement de la vie. Jouer avec l'enfant est une autre manière de quitter la linéarité du temps, car cette conception n'existe simplement pas chez lui.
Un appel extraordinaire nous arrive à tout moment du ciel,
Seul à l'entendre, celui dont l'âme est préparée.
Cet être exemplaire dans les pas duquel je pose les miens - le Prophète, mon cheikh, un saint d'un siècle passé qui m'inspire - m'invite à éveiller en moi-même une autre écoute, à développer une approche subtile du monde, une attention aux événements et aux signes, parfois les plus fins - et tout cela, à la fois, sans tomber dans un excès de zèle, une obsession, où le moindre événement serait un message divin à mon égard !
Car, cet « appel extraordinaire », ces mille signes par jour, ne sont-ils pas, simplement, la façon dont m'apparaît le monde lorsque je reçois que tout est émanation de l'Unique.
Le monde même, alors devient Signe ; et ma perception, capable de nourrir cette information continuelle, est signe de ma transformation.
Je ressens que je suis porté par un flux divin, que celui-ci n'est autre que le Vivant - al-Hayy - et que, de ce souffle, proviennent mes actions.
C'est un instant qui semble percer la durée, fissurer l'avancée linéaire du temps. C'est un instant qui se situe sur un axe vertical, et qui vient trancher l'horizontalité sur laquelle j'ai pris l'habitude d'avancer. À cet instant, je me trouve au centre de la croix. Je me trouve sur le fil de mon existence terrestre, je porte un âge, il est une certaine heure d'un certain jour et, ici même, fait irruption la fissure du Temps. Le soufi l'appelle l'Éternité, ou l'Instant. Comme à la Présence, comme au monde dont chaque aspect se révèle avec une intensité plus précise, je goûte à cet Instant. J'y goûte, et n'éprouve plus aucun autre besoin.
Avant-propos
Ce monde où les frontières entre les informations et les cultures sont abolies, feignent de l'être, donne un certain vertige. Je ne sais plustoujours comment je m'appelle, d'où je viens. Je peux tout être. Je peux tout accepter, tout comporter. Dans le même temps, le fond de mon être semble aspirer à un ailleurs que je sens, perçois comme le lieu d'une géographie subtile, mais que je n'atteins pas, que je ne peux épouser ni toucher de ma main. Cette absence me donne le goût du vide, du gouffre, du non sens, redoublé de la perte de direction matérielle précise que me donnait auparavant la structure traditionnelle.
Dans la chaleur de Damas, après m'être déchaussé à l'entrée de la Mosquée des Omeyyades, je ressens la fraîcheur de la cour intérieure sous mes pieds, je rencontre l'eau au centre, et je m'ouvre à la contemplation des arabesques. Mon âme ne se dégage-t-elle pas de la fixation du mental, pour plonger en elle-même ? Passer la porte d'un temple, bien souvent, c'est franchir une porte intérieure.
À chaque époque fixée : une Écriture.
Allâh efface et confirme ce qu'Il veut,
Chez Lui est la Mère de l'Écriture. 13, 38-39
La forme et la loi ont pu changer, selon l'époque et le lieu des révélations. Le centre du Message, lui, est inaltérable.
Post-face
Annick de Souzenelle
Mais qui est ce « cheminant » ?
Il est l'amoureux de cet inconnu qui l'habite, plus présent à son cœur que le trésor le plus précieux de ce monde ; pour l'essentiel, il s'est détourné des valeurs du monde et a répondu à son appel intérieur, lui donnant vie. Il ne sait pas, celui-là - et pour beaucoup ! -, qu'il répond à l'ordre divin donné au peuple d'Israël comme à celui de l'islam - mais en réalité à tous les peuples - en la personne d'Abraham.
« Va vers toi », lui dit son Seigneur (Genèse 12,1).
Tout être humain arrivant au monde, qu'il soit homme ou femme, se trouve être ensemencé de Dieu. Mais, frappé d'oubli, il ne s'élève au-dessus du monde animal qui l'habite et qui est son origine pendant la première partie de sa vie, durant laquelle les religions le font se souvenir de Dieu ; mais cela reste d'autant plus mental que ce Dieu lui est présenté comme uniquement transcendant, voire inaccessible.
Ce n'est que sous un choc, secret pour chacun, que soudain germe en lui l'étincelle divine et que « l'Homme rouge » qu'il était (étymologie du nom « Adam ») devient « lHomme vert », soit le Khidr du Coran venant renverser toutes les valeurs sécurisantes de Moïse (Coran 18, 59).
Le bruissement du vent dans le désert
ressemble aux pas légers d'un homme.
Il donne l'impression qu'un être mystérieux
marche en permanence près de vous.
Ça fait d'abord un peu peur.
Mais en fait c'est le signe
- une confidence soufflée dans le creux de
l'oreille - que l'on n'est jamais seul.
Même entouré de sable,
et de sable,
à perte de vue.