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Citation de missmolko1


Prologue

Lorsqu’il composa la mélodie de sa bagatelle en la mineur, Ludwig van Beethoven était loin d’imaginer que celle-ci retentirait deux siècles plus tard dans un logement de luxe au cœur de Londres. L’objet qui émet cette musique lui eût été absolument inconcevable : un appareil qui permet de parler avec d’autres personnes même si elles se trouvent de l’autre côté de la terre !
Beethoven ne pensait sûrement qu’à sa maîtresse Therese Malfatti, à laquelle il dédia sa pièce pour piano.
Le téléphone s’acharne à répéter le fragment de mélodie avec la pureté impersonnelle d’un ordinateur, sans la moindre fausse note, sans la moindre nuance. Le volume augmente à chaque itération. L’iPhone âgé de quelques mois vibre sur une commode aux tons bruns. Le grésillement produit par la vibration se joint à la mélodie conçue par Beethoven, formant ainsi un ensemble sonore bien connu de tous ceux dont un collègue a laissé son téléphone sur son bureau en quittant l’open space pour aller en réunion, aux WC ou à la machine à café.
Et n’est pas revenu répondre.
L’appelant est têtu. Chaque fois que la liaison est coupée, il rappelle aussitôt, et la mélodie du maestro viennois recommence crescendo.
Plus loin retentit ensuite une mélodie connue jadis comme un extrait de la Gran Vals de Francisco Tárrega. Au millénaire dernier, une compagnie de téléphonie mobile finlandaise l’a transformée en un signal d’appel pour la jungle urbaine, qui murmure dans les poches des anoraks, stridule dans les wagons de métro et casse l’ambiance dramatique des représentations théâtrales.
Personne ne répond à l’appel.
À présent, voici une nouvelle voix qui vient enrichir cette orchestration improvisée, au phrasé enjoué, incisif et feutré, avec un effet d’écho, tellement pianissimo qu’on ne pourrait l’entendre qu’au cours des pauses du Beethoven, car elle vient de plus loin au fond de l’appartement.
Mais personne n’entend ce tintamarre, personne ne fait ce que tout le monde ferait après avoir subi des sonneries de téléphone pendant une demi-heure : aller mettre les appareils en mode silencieux ou carrément les éteindre.
C’est dû au fait qu’il n’y a personne.
Dans l’appartement, il n’y a personne de vivant.
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