Katrina Kahler

Danser avait toujours été une de mes activités préférées. Avant que le cheval prenne le dessus sur tout le reste. Je me souvenais vaguement des concours de danse auxquels Millie et moi avions participé, et les prix qu’on avait gagné. Le hip hop était mon style préféré, et à un moment j’avais voulu viser un titre national, mais on avait déménagé à la campagne et la danse était passée à un plan secondaire.
Tout le monde se mit à chanter et le volume sonore devint assourdissant. La fête était de toute évidence très réussie et, regardant autour de moi, je réalisais à quel point je pouvais m’amuser si je lâchais prise et profitais du moment.
Sans prévenir, je sentis une grosse paire de mains sur mes hanches, bougeant mon corps au rythme de la chanson. Mais la musique avait envahi mon âme et ça me semblait tout à fait naturel de danser comme ça.
Les mains appartenaient à quelqu’un derrière moi, je ne savais pas qui, mais j’étais tellement prise par la musique et l’ambiance, que je ne me rendais pas compte; la scène était presque irréelle.

Le fait d’être seule la plupart du temps ne semblait pas du tout la gêner. Dans son monde à elle, rempli de livres et de ses études, elle paraissait imperméable à ce qu’il se passait autour d’elle.
La plupart des gens la trouvaient bizarre, mais d’une certaine façon, je l’enviais. Les filles comme Sara ou Jackie ne la perturbaient pas le moins du monde. On aurait dit qu’elle n’avait pas ce profond besoin d’appartenance. Même si je ne savais pas ce qu’il se passait dans sa tête, en surface, on aurait dit qu’elle survolait la vie. Les drames usuels d’adolescents, qui n’avaient en réalité aucune importance, ne semblaient pas l’affecter. Elle était beaucoup plus intéressée par ses livres et ses études.

Il ne pouvait pas avoir plus de dix-huit ou dix-neuf ans. Chaque fille de la classe était concentrée sur lui. Même les garçons le regardaient avec intérêt. Il avait l’air carrément cool et c’était évident qu’ils se demandaient qui c’était, comme les filles. Mais ce furent les filles qui réagirent le plus, et je sentais leurs yeux fixés sur le devant de la classe.
Il était extrêmement beau et les filles autour de moi commencèrent à chuchoter et à glousser. On écoutait attentivement Mr. Jamison nous expliquer que cette personne, appelée M. Ryland et de toute évidence âgé de seulement quelques années de plus que nous, serait notre prof de maths pour le reste du semestre.

Ce sourire hideux et diabolique dessiné sur son visage me donna des frissons. Mais le pire détail, le plus perturbant, c’était les trois aiguilles à coudre, longues et épaisses, qui dépassaient de façon grotesque du torse de la poupée, et deux autres qui étaient plantées de chaque côté de son crâne.
Avec un sursaut effrayé, les mots « poupée vaudou » me traversèrent l’esprit. J’avais lu quelque part que les tribus africaines utilisaient autrefois ce genre de sorcellerie pour jeter des sorts à d’autres membres du village. La plupart du temps, les victimes tombaient violemment malades, et parfois les effets étaient tellement intenses que les gens en mourraient.

Je me rappelle de la tension ressentie quand quelqu’un n’était pas loin de me trouver et que je retenais mon souffle dans l’espoir de rester cachée.
C’était étrange de voir que des pensées comme ça pouvaient jaillir pendant les moments de terreur. La scène était irréelle et je me sentais comme une spectatrice, regardant les évènements de loin. Mais alors, subitement, je sentis la prise sur mon bras se relâcher et je réussis à m’enfuir. Peut-être que c’est mes cris perçants qui m’avaient permis de m’échapper, ça et la lumière vive qui était apparue dans la fenêtre de la maison de l’autre côté de la route.

Dans le passé, j’avais réussi à survivre à mes démons, et même les conquérir. J’étais sûrement capable de le refaire !
On choisit d’être une victime. Ça je le savais. Si seulement je pouvais redevenir cette fille forte, qui avait confiance en elle, comme au primaire…
Mais beaucoup de choses s’étaient passées depuis. Retournant en mode apitoiement, je repensais au soutien que j’avais avant ; une meilleure amie sur qui je pouvais toujours compter, un petit-ami que j’adorais et avec qui je pouvais ouvrir mon cœur et mon âme et une mère qui se souciait vraiment de mon bien-être.

Ce beau sourire chaleureux, qui autrefois faisait fondre mon cœur, réussissait encore à me donner des papillons dans le ventre, une sensation familière.
Je me rappelle à quel point j’avais été dévastée de devoir me séparer du garçon que j’aimais. C’était mon âme sœur, la personne à qui je pouvais tout raconter, même mes secrets les plus sombres. On s’était promis que la distance ne nous séparerait pas, mais au fil du temps, la vie en avait décidé autrement. Et selon Millie, la dernière fois que j’avais discuté avec elle, Blake avait commencé à sortir avec quelqu’un d’autre.

Des visions de ces souvenirs flottaient dans mon esprit alors que j’étais assise seule au fond du bus allant à l’école. J’essayais de me convaincre d’arrêter de bloquer sur le passé et de simplement me concentrer sur le moment présent. C’était ça ma vie maintenant et il fallait que je l’accepte. J’en étais venue à cette conclusion la nuit précédente, allongée sur mon lit et regardant par la fenêtre, perdue dans mes pensées. Et alors que ces pensées me retraversaient l’esprit, je me forçais à me concentrer sur cette nouvelle vie qui commençait.

Je constatais que beaucoup de filles avaient du mal à se concentrer, et il fallait bien admettre que j’étais l’une d’entre elles. Je réussis quand même à travailler un peu, mais je ne pouvais pas m’empêcher de jeter de fréquents coups d’oeil dans la direction du beau jeune homme en face de moi. J’avais du mal à concevoir que c’était notre prof ! Peut-être que les choses étaient en train de s’arranger. Je veux dire, si je devais aller en maths, avoir un prof comme lui, rendait les choses beaucoup plus agréables !

Les filles sont si différentes ici. Cette pensée jaillit dans ma tête, tandis que je restais là, me sentant légèrement mal à l’aise à propos du scénario de la soirée. Bien sûr, je devais admettre que ma vie avait été plutôt protégée à la ferme, et ce qui occupait la majeure partie de mon temps c’était mon poney, Bella. Les chevaux c’était ma passion et c’était pareil pour la plupart de mes amies. On n’avait pas tellement de temps pour les garçons. Il nous semblait qu’il y avait des choses plus importantes que ça