L’homme spirituellement éveillé se réjouit dans l’acceptation de l’asservissement, et ne cherche pas à lui échapper. Il permet à la loi de causalité (inga), tant morale que physique, de suivre son cours, c’est-à-dire qu’il s’y soumet, il ne rompt pas avec elle, il la devient, il l’est. Ce qui le distingue le plus manifestement de l’homme ordinaire, c’est son absolue passivité, son absolue soumission à la loi de la cause et de l’effet. Ce qu’il a appris de cette vie, ce n’est point qu’il y a de la souffrance en ce monde, mais qu’il lui est possible de la transcender et de parvenir à la joie. Il suit simplement sa route nonchalamment et sans crainte, avec la foi inébranlable en son soi le plus intime, et qui ne considère la peine que comme l’autre face de la joie. C’est ainsi qu’en un sens il est tout à fait passif, mais en un sens totalement actif parce qu’il est maître de lui-même.
Comme cette maîtrise provient d’une source située au-delà de lui-même – du Pouvoir de l’Autre, pleine autorité lui est donnée d’en user comme il l’entend ; en vérité, il n’y a aucune limite à ses pouvoirs. Ayant perdu sa volonté propre dans la Volonté d’Amida, le grand Compatissant, et menant sa vie spirituelle au sein d’Amida, il possède une plus grande abondance de vie que n’importe qui, exempte de recherche de soi et d’attachement ; étant égal à lui-même en toute circonstance, il est maître de toute situation. Car c’est le Bouddha Amida, et non son soi étroitement limité, qui est ici à l’œuvre. C’est là sa passivité active ou son activité passive. (pp. 75-76)
En résumé, le Nembutsu, ne consiste pas simplement à prononcer le Nom d’Amida et à se souvenir de sa grande Compassion ; il s’agit de perdre notre volonté propre dans la Volonté d’Amida ; il s’agit d’atteindre nos limites existentielles et sauter par-delà l’abîme qui s’ouvre devant nous. La porte que l’on imaginait impossible à franchir cède au simple fait d’y frapper, et nos limitations ayant été transcendées, nous nous trouvons les rois de ce vaste inconnu. Toutes les chaînes de la vie qui nous entouraient de toutes parts se défont. Toute parcelle possible de boue et de pollution adhérant au cœur humain se détache. Ce n’est rien d’autre que le Nembutsu qui franchit l’abîme sans fond de notre existence pécheresse, et transfère à nouveau nos cœurs dans le Cœur originel au sein de la Terre pure. Mais il y a une chose que nous ne devons pas perdre de vue : le cœur ainsi né dans la Terre pure ne se repose jamais dans cette contrée, car le cœur ainsi purifié n’est pas le cœur humain. Le cœur, dès qu’il atteint la Terre pure, retourne à ce pays de souillure et ressent tout péché et toute souffrance humaine comme la sienne propre. Ainsi donc le cœur, pur et repentant à la fois, béatifique et souffrant à la fois, atteint constamment l’autre rive et revient constamment vers celle-ci – et ce transfert là-bas (oso-eko) et ce retour ici (genso-eko) en un acte est la vie spirituelle ou le nature, l’opération du grand Cœur compatissant. (pp. 72-73)