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Citation de Charybde2


Après l’avènement de l’A-douleur, devait apparaître la riposte, le Gom-Jabbar.
Les riches, dotés de chambres d’apaisement, s’enfermèrent dans leurs maisons et les promesses faites aux non-codants tardèrent à se réaliser. Petit à petit, ces derniers prirent conscience du peu d’intérêt que leur accordaient les gouvernements et sombrèrent dans l’amertume et la morosité. Chacune de leurs souffrances se voyait amplifiée par le savoir cruel que l’on pouvait y échapper. Le plus petit choc à l’orteil constituait une torture, simplement parce que, deux rues plus loin, des gens dormaient dans des chambres cocons, protégés du moindre mal. Au bout de dix années d’attente, les non-codants commencèrent à désespérer. Ils rechignèrent à se reproduire et, à défaut de chambres analgésiques, ils usaient généreusement des patchs de contraception et des opiacés en injection, impuissants à apaiser les bouffées naissantes de leur colère.
Les autorités pouvaient-elles ignorer le mécontentement des non-codants ? Pouvaient-elles, sans réagir, les laisser se soulever ou courir à leur propre extinction ? On envisagea d’enfermer les plus virulents des agitateurs afin de faire un bel exemple et de calmer la foule. Les leçons de l’Histoire n’étaient pas, cependant, tout à fait oubliées. Plutôt que de sévir, on fit sortir du néant une classe intermédiaire de privilégiés parmi les démunis. Ce n’était pas la première fois que l’on voulait créer une noblesse de travailleurs et, cette fois encore, on y parvint. Les gens susceptibles d’occuper un emploi étaient sélectionnés et placés dans des centres de formation équipés de champs, où on leur inculquait des valeurs et des comportements propres à favoriser la paix sociale. Ils avaient la possibilité, ensuite, d’occuper une habitation avec chambre et d’y inviter des membres de leur famille. Pour nombre de non-codants modérés, la possibilité de s’élever par le travail suffisait à ranimer l’espoir de vivre mieux, ce qui coupait les jarrets de la révolution. On en éteignit les dernières braises lorsque fut prise la décision d’accélérer la construction d’immeubles équipés. À une vitesse impressionnante, on vit se multiplier les chambres à champs. Malgré les rumeurs dénonçant l’utilisation de matériel de qualité inférieure pour les non-codants, ces dortoirs rencontrèrent un vif succès.
Acropolis fut l’une des premières villes nouvelles à proposer des chambres pour toutes ses habitations, individuelles ou collectives. D’autres suivirent, figeant dans leur organisation la division de la population en classes hiérarchisées. Les quartiers-dortoirs des non-codants restaient séparés des résidences des codants par les rangées d’immeubles d’habitation des Travailleurs, appelés à œuvrer dans un monde comme dans l’autre. Les révoltés s’endormirent peu à peu et avec eux, la société entière. Douceur, coton, lenteur et longévité. Unis dans leur engourdissement, riches et pauvres n’avaient même plus la force d’espérer un éveil. On naissait, on apprenait à préserver son organisme et, au moindre signe de dépression, les capsules demandaient à être ajustées. Revenaient alors le sourire et l’illusion du bien-être.
Aucune protéine, pour autant, ne parvint à soigner les habitants d’Acropolis et des autres villes-cocons de la mélancolie qui clapotait sous la léthargie permanente.
Les Travailleurs restaient les seuls capables d’en prendre la mesure. À cause de la nécessité de les garder actifs, on avait jugé bon de les doter de capsules à effets limités. Ni choyés comme les codants, ni assommés comme les non-codants, eux seuls avaient une appréhension de leur condition assez proche du réel.
Naturellement, c’est un Travailleur qui fabriqua l’antidote, ; une capsule fonctionnant sur le même principe que celles des chambres, mais contrôlant principalement dopamine et cortisol. D’autres lui trouvèrent un nom, Gom-Jabbar, en référence à une oeuvre de fiction datant du XXe siècle. Un Gom-Jabbar correctement dosé permettait de rétablir presque entièrement les mécanismes de la douleur.
Bientôt, l’on vit se développer chez les Travailleurs un courant de retour au mal, puis, en quelques mois, sans que l’on n’y comprenne rien, de nombreux non-codants rejoignirent ce qui devenait déjà un mouvement important.
Comment se produisit le glissement vers le sacré ? Par quelles voies revint-on aux textes et aux rituels bibliques ? Quand les fanatiques trouvèrent-ils à s’organiser ? Personne ne vit arriver l’Église de la Conscience de Soi avec ses Anges de Douleur. (« Dolorem Ipsum »)
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