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Citation de Charybde2


L’Afrofuturisme comme territoire réservé
« Bonjour, vous écrivez de l’afrofuturisme, je suppose ! » est devenu depuis quelques années la nouvelle façon de dire : « Je constate que vous êtes noire, je me dois de vous dire que je trouve ça surprenant. Dites-moi quelque chose d’exotique.
L’exposition coloniale avec ses monstres étranges n’est plus acceptable que sous cette forme.
De qui se permet-on de deviner les thèmes de travail avant même de leur avoir parlé ? Celles et ceux qui s’éloignent du neutre et de l’universel. Certains hommes savent quel genre de textes écrivent les femmes rien qu’à la couleur de leur rouge à lèvres. Moi, c’est ma peau. En plus du reste.
« Tous tes personnages sont noirs », m’a affirmé une consœur qui n’avait pas lu mon livre, mais l’avait conseillé, pour cette raison, à une dame « pour ses enfants racisés ».
« Il faudrait plus de diversité dans les personnages et les auteurs », m’avait annoncé une autre, avant même de me demander mon nom, ou ce que j’écrivais.
« J’écris ce que je veux », ai-je l’habitude de répondre, sommée régulièrement de me positionner là d’où l’on veut bien me laisser parler : l’afrofuturisme.
L’ennui, c’est que peu de ceux qui emploient le terme vont au-delà de la surface des choses. Qui s’intéresse à l’ancrage américain de ce courant culturel ? Qui se soucie de la variété des définitions actuelles et du besoin de certains auteurs du continent africain ou des États-Unis de se démarquer du terme ? Qui, une fois prononcé le mot, est prêt à admettre que les personnes noires sont capables de créer des œuvres susceptibles de toucher l’humanité tout entière ?
L’emploi de ce terme, en France, repose, il me semble, sur un malentendu entre, d’une part, les auteurices qui demandent acceptation et reconnaissance de leur existence, avec leurs particularités et, d’autre part, le monde éditorial qui s’empresse de leur proposer une catégorie distincte, non miscible avec le reste de la littérature de science-fiction.
Il ne s’agit donc pas de bien accueillir les auteurices noir•es, mais de les parquer dans un sous-genre bien délimité dont ils sont priés de ne pas déborder.
J’en veux pour preuve l’accueil réservé à mes travaux sur la science-fiction africaine et à mon recueil fantastique « Confessions d’une séancière ».
Enfin conforme à l’idée qu’on se faisait de moi, j’étais l’interlocutrice parfaite pour recueillir les récits de vacances exotiques des uns et des autres et répondre à leurs interrogations sur l’Afrique qu’on persiste à présenter comme un tout indifférencié.
Le reste de mon travail, la majorité de mes textes, en fait, n’existait pas.
On me présumait incapable de penser au-delà de ma supposée communauté d’apparence. J’ai donc pris le parti de refuser toute intervention ou entrevue sur le thème de l’afrofuturisme, expliquant, au grand regret de mes interlocutrices, que j’écrivais de la science-fiction.

Toucher l’universel en creusant en soi
Ne pas correspondre aux étiquettes ne fait pas, cependant, partie d’un projet délibéré. Je suppose qu’il aurait été plus simple de ressembler à un cliché. Mais qui peut s’en contenter ?
Il se trouve simplement que mes centres d’intérêt sont multiples, de même que mes compétences et mes façons de me définir.
Être artiste consiste, pour moi, à trouver la meilleure façon d’exprimer ce que l’on a à dire, la façon dont on voit le monde, dont on le rêve, pour soi, pour les autres.
À l’instar d’Octavia Butler qui, creusant son sillon, parviendra à créer des fictions puissantes impliquant différents habitants de la Terre et même des espèces extraterrestres, je pense qu’on peut atteindre l’humanité en l’autre en la creusant en soi.
Nalo Hopkinson, riche d’une culture littéraire légitime, ajoute parfois des motifs de contes créoles à ses écrits. Ses textes sont-ils pour autant illisibles aux personnes qui ignorent tout de la culture des Antilles anglophones ?
« […] Les gens ne relèvent pas toutes les références que je fais. J’essaie d’y prêter attention quand j’écris. Parfois, j’essaie de m’assurer que ça n’ait pas d’importance si le lecteur ne saisit pas toutes les références. »
Ursula K. Le Guin a, elle aussi, réfléchi à la difficulté d’atteindre le collectif et à la tentation de viser, dans son écriture, un « universel » jamais défini. Sa conclusion va dans le même sens :
« Il semble bien que le seul moyen de parvenir au véritable collectif, à l’image qui vit et qui a un sens pour chacun d’entre nous, soit de se servir de ce qui est véritablement personnel. Non pas l’impersonnel de la raison pure, ou l’impersonnel du « populaire », mais le personnel irréductible ; le moi. Pour atteindre les autres, l’artiste doit plonger en lui-même. »
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