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Citation de Woland


[...] ... Lorsque nous franchissions le seuil de l'épicerie qui se trouvait à Enighedsvej, un soudain silence s'instaurait, les gens nous regardaient, puis nous tournaient le dos. Nous prenions place dans la queue qui devenait de plus en plus longue, notre tour ne venait jamais. Mère disait "pardon", faisait parfois un signe de la main pour attirer l'attention, n'y parvenait jamais - jusqu'au moment où les vendeuses ne pouvaient plus se retenir de pouffer et, en échangeant un regard avec les clients, se tournaient vers mère : "Vous désirez ?"

Mère demandait un pain blanc, un pain de seigle, un litre de lait entier et un paquet de beurre. Elle parlait nerveusement, avec un fort accent ; on lui refilait du lait qui avait tourné, du beurre rance, du pain rassis et on la trompait sur la monnaie ; mère baissait la tête, disait "merzzi beaucoup" et "exguisez-moi," et nous sortions pour ne plus y remettre les pieds. Nous nous rendions chez Bengtsen dont la boucherie se trouvait au coin de Grønsundsvej, traversions le pont viaduc pour passer chez le marchand de fruits et légumes, Østergade, au Café Jeppesen, Slotsgade, et le même scénario se reproduisait chez chaque commerçant.

Ainsi faisions-nous nos tours quotidiens dans une ville qui nous tournait le dos ; nous voyions tout de dos, avions toujours affaire à des gens qui s'écartaient, puis s'éloignaient, chaque fois que mère les abordait. Ils regardaient dans une direction opposée, leurs boutiques étaient fermées, leurs marchandises épuisées, leurs chaises déjà prises ; à la sortie de la messe de Noël, le pasteur refusait de nous serrer la main. Nous étions seuls dans le monde, mère tenait ma vie dans ses mains, et je tenais la sienne, en trottinant à ses côtés pendant que nous allions jusqu'à la Grand-Place, puis faisions tout le trajet de retour.

Une fois rentrés, la porte fermée, nous nous sentions en sécurité, soulagés. Mère accrochait [son manteau d'ocelot] dans le placard et rangeait les achats dans la cuisine. Puis elle se versait un verre de vodka, passait au salon et mettait un disque. Elle allumait un cigarillo, se rejetait en arrière sur le canapé, soufflait la fumée, et pendant le reste de l'après-midi elle faisait la fête, pour elle-même, en écoutant Zarah Leander, Marlene Dietrich, Heinz Rühmann et d'autres airs à la mode dans les années trente. Elle rêvait de Berlin. ... [...]
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